English Information Les services  Décisions, jugements, articles d’intérêt

Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail 2013 QCCA 484

COUR D’APPEL

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL
N° : 500-09-020950-101 (700-22-020132-097)

DATE : 19 MARS 2013

CORAM : LES HONORABLES FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

ASPHALTE DESJARDINS INC. APPELANTE – défenderesse c.

COMMISSION DES NORMES DU TRAVAIL INTIMÉE – demanderesse

ARRÊT

[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 19 juillet 2010 par la Cour du Québec, chambre civile, district de Terrebonne (l’honorable Georges Massol), qui a accueilli partiellement la demande de la Commission des normes du travail et condamné Asphalte Desjardins à lui payer 6 518,99 $ avec intérêts à compter de la mise à la poste de la mise en demeure.
[2] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrit le juge Fournier,
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel avec dépens et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu :
REJETTE, avec dépens, l’action de la Commission des normes du travail.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 2

[4] Pour d’autres motifs, le juge Pelletier aurait confirmé le jugement de première instance et rejeté l’appel avec dépens.

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

Me Claude Jean Denis Dufresne Hébert Comeau inc. Pour l’appelante

Me Jessica Laforest Rivest, Tellier, Paradis Pour l’intimée

Date d’audience : 21 mars 2012
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 1

MOTIFS DU JUGE PELLETIER

[5] Rupture forcée du lien d’emploi ou démission? Voilà la singulière question qui émerge des prétentions opposées des parties dans le dossier à l’étude. Formulée plus précisément, cette question se présente ainsi : un employeur peut-il se dégager de son obligation de payer le salaire, qui aurait été autrement payable pendant la durée du préavis de cessation d’emploi que lui donne son employé, en renonçant à l’exécution du travail pendant cette même période? La solution du pourvoi dépend de la réponse à y apporter.
[6] Au bénéfice de M. Daniel Guay, la Commission des normes du travail [la Commission] réclame à l’appelante Asphalte Desjardins [Desjardins] l’indemnité de préavis prévue à l’article 82 de la Loi sur les normes du travail [la Loi]1 de même que celle correspondant aux congés annuels. Pour son propre compte, elle réclame aussi le montant forfaitaire dont traite l’article 114 de la Loi.
[7] Les faits à l’origine de l’affaire souffrent peu de contestation. J’en emprunte la description au juge Massol, saisi du litige en première instance :
[3] La défenderesse œuvre dans le pavage et tire ses revenus à plus de 80 % de contrats de pavage de routes avec des instances municipales ou le gouvernement provincial. Elle exécute ses travaux principalement dans la région des Basses-Laurentides.
[4] Il existerait une certaine concurrence dans ce domaine, dont les contrats sont attribués après des appels d’offres.
[5] Le salarié Daniel Guay débute son emploi auprès d’Asphalte Desjardins inc. en 1994, et ce, jusqu’à la cessation de son emploi en 2008. Cette période a cependant été entrecoupée de moments où il a travaillé pour d’autres employeurs.
[6] Au début, il agissait comme arpenteur, puis est devenu directeur de projets. Dans le cadre de ses fonctions, il devait superviser les travaux, gérer les soumissions, la facturation et, bien sûr, la réalisation comme telle des travaux.
[7] Selon la preuve prépondérante, il avait accès à des données qui ne devaient pas se retrouver entre les mains des compagnies concurrentes telles que les prix fournis lors des soumissions ainsi que les coûts de réalisation.
1 L.R.Q., c. N-1.1.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 2

[8] Le 15 février 2008, monsieur Guay remet une lettre au contrôleur de la défenderesse intitulée « Lettre de démission » (pièce D-1), laquelle est libellée comme suit :
« Messieurs,
Par la présente, je vous confirme que je quitte définitivement mon emploi de directeur de projets le 7 mars 2008. […] »
[9] Lors de la remise de cette lettre, il aurait indiqué quitter pour un compétiteur, Les Entreprises Guy Desjardins, lequel lui offrait de meilleures conditions salariales.
[10] La lettre est donnée à monsieur Jean Lussier qui se dit désolé de cette décision du salarié, d’autant plus qu’il s’agit d’une période très active pour les soumissions des travaux devant débuter au printemps. À cette occasion, monsieur Guay lui mentionne que le délai entre la remise de sa lettre, soit le 15 février, et la date effective de son départ le 7 mars, soit trois semaines, servira à finaliser des dossiers de même qu’à dresser l’historique de certains travaux en cours dans plus de 50 dossiers, ce qui facilitera le travail de son successeur.
[11] Par la suite, le salarié indiquera avoir vécu cette expérience dans le passé où un de ses prédécesseurs, avant de quitter, a effectué ces travaux, facilitant ainsi la transition, ce qui fut très apprécié.
[12] Le 15 février 2008 est un vendredi.
[13] Le lundi suivant, le 18, monsieur Guay rencontre deux des trois dirigeants de la défenderesse, messieurs Claude et Jacques Desjardins, lesquels tentent de le convaincre de rester.
[14] Il faut rappeler que l’année précédente, soit en 2007, monsieur Guay avait, là encore, remis sa démission pour la même raison et pour aller travailler chez le même compétiteur, Les Entreprises Guy Desjardins. À ce moment-là, les frères Desjardins avaient réussi à le convaincre de rester.
[15] Le 18 février 2008, cependant, ces derniers constatent que l’écart entre ce qu’ils pourraient payer au salarié et ce qu’offre son compétiteur est trop grand et qu’ils ne peuvent combler les demandes de celui-ci.
[16] Dans ces circonstances, l’employeur décide de mettre fin au contrat de travail dès le lendemain, soit le 19 février, plutôt que d’attendre le 7 mars, date de départ annoncée par monsieur Guay.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 3

[17] Bien que le salarié aurait été en droit de réclamer quatre semaines de préavis en vertu de l’article 82 de la Loi sur les normes du travail vu ses années de service, la CNT ne réclame que trois semaines, correspondant à la période comprise entre la manifestation du désir de démissionner du salarié et sa prise d’effet, moins les jours qui ont été payés.
[18] La CNT réclame également, dans la même proportion, le congé annuel.
[8] Le juge a accueilli la réclamation entreprise au bénéfice de M. Guay et utilisé son pouvoir discrétionnaire pour rejeter celle faite au bénéfice de la Commission sous l’autorité de l’article 114 de la Loi.
[9] Desjardins se pourvoit après avoir obtenu l’autorisation de notre collègue le juge Rochon.
[10] L’affaire soulève aussi le problème de l’interaction des articles 82 et 83 de la Loi avec les règles de droit commun prévues au Code civil du Québec, notamment celles découlant des articles 2091 et 2092 C.c.Q. J’estime utile de reproduire ces textes pour la bonne compréhension du problème :
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
Cet avis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’un an de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifie de dix ans ou plus de service continu.
L’avis de cessation d’emploi donné à un salarié pendant la période où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dans le cas d’un emploi dont la durée n’excède habituellement pas six mois à chaque année en raison de l’influence des saisons.
Le présent article n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit qui lui est conféré par une autre loi.
83. L’employeur qui ne donne pas l’avis prévu à l’article 82 ou qui donne un avis d’une durée insuffisante doit verser au salarié une indemnité compensatrice équivalente à son salaire habituel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour une période égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire de l’avis auquel il avait droit.
Cette indemnité doit être versée au moment de la cessation d’emploi ou de la mise à pied prévue pour plus de six mois ou à l’expiration d’un délai de six mois
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 4

d’une mise à pied pour une durée indéterminée ou prévue pour une durée inférieure à six mois mais qui excède ce délai.
L’indemnité du salarié en tout ou en partie rémunéré à commission est établie à partir de la moyenne hebdomadaire de son salaire durant les périodes complètes de paie comprises dans les trois mois précédant sa cessation d’emploi ou sa mise à pied.
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[11] Voici maintenant les éléments essentiels des thèses en présence.
[12] Selon Desjardins, l’employé qui démissionne met fin au lien d’emploi, et c’est ce qui se serait produit en l’espèce. Le droit de l’employé d’agir de la sorte, consacré par l’article 2091 C.c.Q., est toutefois assujetti à l’obligation de donner un délai-congé raisonnable. Dans le cas à l’étude, donc, M. Guay n’aurait fait qu’exécuter l’obligation que lui impose le Code civil lorsqu’il a indiqué dans sa lettre de démission du 15 février 2008 que sa prestation de travail se terminerait le 7 mars suivant. Toujours suivant cette même thèse, Desjardins aurait, de ce fait, eu le loisir de renoncer à sa créance pour la prestation de travail durant le délai-congé, donnant ainsi un effet immédiat à la démission de M. Guay.
[13] Des dires mêmes de Desjardins, c’est le jugement du juge Tremblay de la Cour du Québec dans ChemAction inc. c. Étienne Clermont2 qui résume le mieux les arguments au soutien de cette thèse. On y retrouve les commentaires que voici :
[42] Avec respect pour l’opinion contraire, le Tribunal estime que l’analyse juridique avancée par les parties est erronée. Une démission ne devient pas un congédiement tout simplement parce que l’employeur renonce au délai de congé que doit lui offrir le salarié avant de mettre fin au contrat de travail.
[43] Le contrat de travail est régi par les articles 2085 à 2097 du Code civil du Québec. Les articles 2091 et 2092 se lisent ainsi :
2 ChemAction Inc. c. Étienne Clairmond, J.E. 2008-1789, 2008 QCCQ 7353 [ChemAction].
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 5

2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[44] L’article 2092 a pour but de protéger le salarié. Puisqu’il s’agit d’un article qui est d’ordre public de protection, et non de direction, il est possible d’y renoncer sous réserve de l’application du minimum prévu à la LNT. Il n’y a pas d’équivalent de l’article 2092 pour l’employeur.
[45] Or, l’article 82, alinéa 1 de la LNT est libellé ainsi :
Avis de fin du contrat.
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
[46] Par conséquent, un «salarié qui démissionne librement et volontairement, sans y être forcé par les agissements de son employeur, n’a pas droit au préavis prévu à l’article 82.
[47] Faut-il rappeler quelle est la finalité propre de cette obligation qui est imposée au salarié démissionnaire de donner un délai de congé suffisant à l’employeur (art. 2091 C.c.Q.) : «il s’agit d’atténuer le préjudice subi par l’employeur du fait de la démission, c’est à dire lui permettre de se réorganiser voire de bénéficier d’une certaine période de temps pour trouver un remplaçant et, au besoin, pour le former».
[48] Dans la mesure où l’employeur renonce à ce droit pour des motifs personnels, en quoi la situation juridique que constitue la démission a-t-elle été modifiée? Lorsqu’un salarié donne sa démission à l’employeur, la situation juridique des parties est cristallisée. Le délai de congé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission. C’est l’employeur qui bénéficie d’une protection. S’il renonce totalement et sans condition au bénéfice du temps, la démission devient effective immédiatement. S’il y renonce partiellement (délai de congé plus court), la démission sera effective plus rapidement.
[49] Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l’employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que doit lui donner le salarié.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 6

[50] Comment « le salarié démissionnaire [peut-il] valablement exiger de l’employeur une quelconque indemnité en raison de cette fin d’emploi puisqu’il en est l’auteur». Le salarié est mal venu de contester sa propre décision.
[51] Ici la confusion vient des explications données par Cantin pour justifier sa renonciation au délai de congé offert par Pelletier et Clermont. Peu importe que Cantin ait perdu confiance en ses employés; n’ait pas aimé leur attitude; soit amer; ait des reproches à leur faire ou encore qu’il ait pris quelques heures pour réfléchir et finalement renoncer au délai de congé offert par les salariés. Les motifs personnels de Cantin pour justifier sa renonciation au préavis sont de peu d’importance et ne changent en rien la situation juridique. Pelletier et Clermont ont offert leur démission et Cantin a accepté qu’elle devienne effective le jour même et non deux semaines plus tard.
[52] Si la renonciation par l’employeur au délai de congé offert par le salarié démissionnaire équivalait à un congédiement, alors cela signifierait que l’employeur devrait toujours respecter le délai de congé déterminé par le salarié (pour autant qu’il soit raisonnable). Il ne pourrait renoncer à ce délai qu’en cas de faute grave donnant ouverture à un congédiement immédiat, sans préavis. Or l’employeur peut faire remise au salarié de son obligation (article 1687 C.c.Q.):
1687. Il y a remise lorsque le créancier libère son débiteur de son obligation.
La remise est totale, à moins qu’elle ne soit stipulée partielle.
[53] Si un salarié renonce au délai de congé raisonnable que doit lui donner l’employeur en cas de congédiement (ou de licenciement), l’on ne va certes pas conclure que le congédiement s’est transformé en démission! Alors pourquoi en serait-il autrement pour l’employeur qui ne fait que renoncer à son droit d’obtenir un préavis du salarié démissionnaire?
[14] Desjardins concède cependant que ce jugement est isolé, se démarquant d’une tendance lourde à l’effet contraire3.
3 Commission des normes du travail c. 9063-1003 Québec inc., D.T.E. 2009T-559, 2009 QCCQ 2969 (C.Q.); Commission des normes du travail c. S2I inc., D.T.E. 2005T-20 (C.Q.); Commission des normes du travail c. Compogest inc., D.T.E. 2003T-490 (C.Q.); Cercle québécois de la coiffure et de l’esthétique inc. c. Salon Cité-bourg inc., D.T.E. 98T-469 (T.A.); Commission des normes du travail c. Sports du temps inc., D.T.E. 97T-1004 (C.Q.); Commission des normes du travail du Québec c. Gaudette-Gobeil, D.T.E. 97T-1004 (C.Q.); Commission des normes du travail du Québec c. Publications Lachute inc., D.T.E. 92T-645 (C.Q.); Commission des normes du travail du Québec c. Olier Grisé & Cie, D.T.E. 88T-373 (C.Q.); Commission des normes du travail c. Extermination StMichel Ltée, D.T.E. 88T-27 (C.P.); Commission des normes du travail c. 114737 Canada Inc., D.T.E. 87T-761 (C.P.); Commission des normes du travail c. Cie américaine de fer et métaux Inc., D.T.E. 85T-921 (C.P.).
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 7

[15] La Commission, pour sa part, souligne d’entrée de jeu le vocabulaire choisi par le législateur à l’article 82 de la Loi. Ce dernier aurait préféré la périphrase mettre fin à son contrat de travail au terme congédiement pourtant utilisé dans la même Loi4. Elle enchaîne ainsi :
19. L’article 82 L.n.t. stipule clairement que dans tous les cas où la fin du contrat de travail est à l’initiative de l’employeur, celui-ci doit respecter la remise d’un avis écrit, et ce, sans égard à la qualification de la rupture du lien d’emploi;
20. Les seuls cas où l’article 82 L.n.t. ne s’applique pas sont les exceptions prévues à l’article 82.1 L.n.t., soit :
Salariés non visés
82.1. L’article 82 ne s’applique pas à l’égard d’un salarié :
1. qui ne justifie pas de trois mois de service continu;
2. dont le contrat pour une durée déterminée ou pour une entreprise déterminée expire;
3. qui a commis une faute grave;
4. dont la fin du contrat de travail ou la mise à pied résulte d’un cas de force majeure.
[16] Selon la Commission, M. Guay aurait utilisé sa prérogative de choisir le moment où devait se terminer son contrat de travail à durée indéterminée. Tenant pour acquis aux fins de la discussion que les trois semaines mentionnées dans la lettre du 15 février 2008 constituent un délai raisonnable, la prétendue renonciation de Desjardins au délai-congé constituerait, en réalité, une privation illégale du droit de M. Guay d’exécuter sa prestation de travail contre rémunération. Une semblable façon de faire contreviendrait notamment à l’article 2087 C.c.Q. qui dispose que :
2087. L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.
[soulignement ajouté]

4 Voir les articles 124, 125 et 128 de la Loi, où le terme « congédiement » est employé.

2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 8

[17] En conclusion, d’avancer la Commission, il ressort des constats de fait retenus par le juge que Desjardins a mis fin prématurément à un contrat de travail qui devait se poursuivre jusqu’au 7 mars 2008. Par ce geste, Desjardins aurait déclenché l’application de l’article 82 de la Loi.
ANALYSE
[18] C’est un contrat nommé, le contrat de travail, qui est au centre du débat. Le Code civil le définit ainsi :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.
[19] Au moment de sa conclusion, celui intervenu entre Desjardins et M. Guay en est un à durée indéterminée au sens de l’article 2086 C.c.Q.
[20] En l’espèce, il ne fait pas de doute que les parties ont cessé de l’exécuter de part et d’autre le 19 février 2008 dans les circonstances décrites par le juge Massol dans l’extrait que j’ai reproduit précédemment. Il est aussi incontestable que les relations contractuelles devaient de toute façon se terminer quelque trois semaines plus tard, soit le 7 mars 2008, par l’effet de l’avis de démission remis par M. Guay le vendredi 15 février 2008.
[21] Selon moi, il faut, dans un premier temps, se reporter à cette date du 15 février 2008 pour évaluer la situation juridique des parties.
[22] Desjardins propose que M. Guay a démissionné ce jour-là, mettant ainsi un terme au contrat d’emploi. Je ne peux accepter intégralement cette affirmation et les moyens plaidés à son soutien.
[23] Tout d’abord, la prémisse de Desjardins se heurte à un constat retenu par le juge Massol. Ce dernier écrit :
[42] Le soussigné estime que dans le cas à l’étude, monsieur Guay formulait plus qu’une offre de demeurer à l’emploi de la défenderesse; la lettre de démission est claire à cet égard. Il mentionnait qu’il quitterait son emploi le 7 mars 2008. Le reste des explications a été fourni par la suite. Bien sûr, pendant le délai de trois semaines séparant la manifestation de sa volonté et la prise d’effet de sa démission, il devait nécessairement occuper son temps. Il croyait, en employé consciencieux, que son temps pouvait être mis à profit en effectuant une transition harmonieuse entre lui et son successeur. Ce faisant, le salarié se conformait à l’obligation imposée par l’article 2091 C.c.Q.
[…]
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 9

[47] En l’instance, il a été mis en preuve qu’une fois congédié, le salarié a été travailler chez son nouvel employeur avant la période prévue.
[48] Le soussigné considère qu’il ne faut pas y inférer quelque conséquence que ce soit puisqu’il était normal qu’une fois sans emploi, monsieur Guay ait demandé à son nouvel employeur de devancer son entrée en fonction.
[24] En somme, M. Guay n’a pas proposé à Desjardins une alternative selon laquelle cette dernière aurait pu, à son choix, mettre fin immédiatement et de façon consensuelle aux obligations mutuelles découlant du contrat ou jouir de la prestation de travail jusqu’au 7 mars tout en continuant à payer le salaire. Ce n’est que ce second volet de l’alternative que M. Guay a mis en avant auprès de Desjardins, et c’est là une conclusion de fait du juge.
[25] Sous ce rapport, le cas à l’étude diffère de celui décidé par le juge Tremblay dans ChemAction inc.5. Dans cette affaire, le juge a en effet conclu de la preuve que les employés en cause avaient fait part de leur démission, tout en offrant à l’employeur de continuer à exécuter leur prestation de travail pendant la durée du délai-congé. Il a donc déterminé qu’il y avait eu rencontre des volontés quant à la terminaison immédiate du lien d’emploi lorsque l’employeur a décidé de décliner l’offre des employés de continuer à exécuter leur prestation de travail pendant un certain temps. Pour cette raison, le jugement entrepris ne heurte pas comme tel le dispositif retenu dans ChemAction inc.6.
[26] Je rappelle que Desjardins ne plaide pas le consentement de M. Guay à une fin immédiate du contrat de travail. Elle avance plutôt que l’avis de démission lui donnait l’opportunité de renoncer unilatéralement à la prestation de travail pour le temps à s’écouler jusqu’au 7 mars. Elle ajoute que cette renonciation a eu pour effet de la libérer de son obligation de payer le salaire. À ce propos, elle invoque expressément la remise au sens du Code civil.
[27] Comme le souligne à juste titre l’avocat de la Commission, il ne saurait ici y avoir remise. Celle-ci est un contrat synallagmatique, comme l’enseignent les auteurs Baudouin et Jobin7 :
988 – Définition – La remise de dette est l’acte conventionnel par lequel le créancier décharge son débiteur de l’exécution de la totalité ou d’une partie de son obligation. Elle constitue une véritable convention, un acte juridique bilatéral et, à ce titre, est donc soumise aux règles concernant le contrat. Le consentement libre et éclairé des deux parties est essentiel, l’opération ne doit
5 ChemAction, supra, note 2. 6 ChemAction, supra, note 2. 7 Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e édition, Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 786.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 10

pas être contraire à l’ordre public et les parties doivent avoir la capacité requise, c’est-à-dire pour le créancier, celle de disposition.
989 – Distinction avec la renonciation à un droit – La remise de dette est un acte juridique bilatéral et ne doit donc pas être confondue avec la simple renonciation à un droit (par exemple, à une succession) qui s’analyse comme un acte juridique unilatéral. Pour qu’il y ait remise de dette, il ne suffit pas que le créancier dispense le débiteur de l’exécution, il faut, en plus, que le débiteur accepte d’être libéré.
[28] Dans le cas à l’étude, le moyen plaidé repose en réalité sur un geste unilatéral. Il s’agirait donc, dans la meilleure des hypothèses pour Desjardins, d’une renonciation ayant accessoirement un effet libératoire pour l’un et l’autre contractants.
[29] À mon avis, lorsqu’elle a reçu de M. Guay l’annonce d’une démission devant prendre effet le 7 mars 2008, Desjardins se trouvait dans la situation que les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi8 décrivent avec justesse dans les termes que voici :
II-179 – La démission – Sans égard à ses motifs personnels, le salarié peut résilier le contrat de travail par simple avis de congé donné à l’employeur. Cette démission se réalise aux mêmes conditions, mutatis mutandis, que celles applicables à l’employeur qui procède à une résiliation unilatérale ou à un licenciement (art. 2091 C.c.Q.) (II-169). Sur le plan juridique, la question se pose très souvent différemment parce que les prestations des deux parties ne sont pas de même nature. Ainsi, l’employeur qui reçoit du salarié pareil avis de congé peut, pour des raisons les plus diverses d’ailleurs, réagir de l’une ou l’autre des façons qui suivent :
i) Respecter la volonté du salarié en le maintenant en emploi jusqu’au terme de l’avis et alors, lui verser la rémunération directe et indirecte due (II-141).
ii) Refuser de garder plus longtemps le salarié démissionnaire et le libérer de sa prestation de travail pour le temps de l’avis de congé. L’employeur doit alors verser un montant équivalant à la rémunération autrement due pour la durée de ce même délai de congé donné par le salarié.
iii) Procéder par voie d’une contre-offensive et prendre l’initiative d’une résiliation immédiate par la voie d’un congédiement (II-176). [renvois omis]
[30] Je crois utile d’ajouter les commentaires qui suivent.
8 Fernand Morin et al., Le droit de l’emploi au Québec, 4e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 496, paragr. II-179.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 11

[31] Le contrat de travail est un contrat synallagmatique standard de sorte qu’aucune partie ne peut, de façon unilatérale, s’en dégager au détriment des droits de son cocontractant. Lorsque à durée indéterminée, l’article 2091 C.c.Q prévoit cependant le droit d’une partie d’y mettre fin sans l’accord de l’autre, sous réserve du respect de l’exigence prescrite par la même disposition. Cette exigence, qui conditionne l’exercice de la faculté de résiliation unilatérale par l’une ou l’autre des parties au contrat, consiste dans l’octroi d’un délai-congé. En principe, donc, et sous réserve des délicates nuances à apporter en fonction des faits de chaque espèce, la terminaison du contrat de travail à durée indéterminée découlant de la volonté d’un seul des contractants ne survient pas dès l’annonce de la décision, puisque le délai du préavis doit s’écouler. Cette règle est identique pour l’employeur et l’employé :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
[…]
[soulignement ajouté]
[32] À mon avis, l’article 2092 C.c.Q. frappe de nullité une renonciation à l’avance par l’employé à son droit d’obtenir réparation du préjudice au cas de non-respect par l’employeur de l’exigence prescrite par l’article 2091 C.c.Q. C’est sous ce rapport qu’il y a asymétrie entre la règle applicable à l’un et à l’autre.
[33] Mais on sait que, en pratique, l’employeur utilise très fréquemment la remise d’une équivalence en argent pour valoir le délai-congé, et ce, dans le but de provoquer l’arrêt immédiat des prestations de l’employé. Souvent, cette modalité d’exercice, considérée isolément et sans égard à l’accord ou au désaccord des parties quant à la quotité de l’équivalence requise, ne rencontre pas, comme telle, d’opposition de la part de l’employé. Je m’abstiens de commenter davantage ce cas de figure qui n’est pas celui auquel nous sommes confrontés et qui est susceptible de soulever d’autres difficultés juridiques.
[34] Autre précision d’ordre général, rien n’interdit aux parties de convenir librement de la cessation immédiate de leurs relations contractuelles. En pareil cas, l’article 2092 C.c.Q. ne reçoit pas application, parce que la fin d’emploi n’est pas le fruit du geste unilatéral de l’employeur.
[35] Revenant aux faits du cas à l’étude, M. Guay a utilisé sa prérogative de mettre fin unilatéralement au contrat à la date du 7 mars 2008. Desjardins pouvait-elle répliquer en fixant elle-même une date plus hâtive? Dans les faits de l’espèce et sous réserve de nuances sur lesquelles je reviendrai, la réponse est non, à moins bien sûr d’obtenir l’accord de M. Guay.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 12

[36] En somme, je suis d’avis qu’il est inapproprié ici d’analyser le problème sous l’angle de la renonciation. Jusqu’au moment de sa date de terminaison, fixée par la teneur de l’avis donné par M. Guay, le contrat a continué de s’appliquer. Chaque partie avait le droit d’exiger de l’autre la prestation prévue, l’employeur, celle de l’exécution du travail, l’employé, celle du paiement du salaire. Jusqu’à ce que cette date arrive, seule une entente, et non un geste unilatéral, pouvait libérer les parties de leurs obligations. En imposant à M. Guay la fin immédiate du contrat d’emploi le lundi 19 février, Desjardins n’a pas satisfait la condition essentielle à l’exercice du droit de résolution unilatérale octroyé par le législateur à l’article 2091 C.c.Q. C’est pourquoi elle ne pouvait, sans le consentement de son cocontractant, empêcher ce dernier d’exécuter sa prestation de travail (2087 C.c.Q.) dans le but de s’affranchir de l’obligation de payer le salaire. Pareille renonciation n’emportait pas d’effet libératoire. En somme, j’estime qu’il y a lieu d’appliquer aux faits de l’espèce la thèse préconisée par les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi, de même que Nathalie-Anne Béliveau9.
[37] Ayant unilatéralement empêché M. Guay d’exécuter sa prestation et cessé d’exécuter la sienne, Desjardins a mis fin au lien d’emploi la liant à M. Guay à la date du 19 février 2008 au sens de l’article 82 de la Loi, entraînant ainsi les conséquences décrites à l’article 83.
[38] Je crois utile de proposer deux autres arguments, l’un reposant sur la règle posée par l’article 2092 C.c.Q., et l’autre sur celle découlant des articles 82 et 83 de la Loi.
[39] S’il fallait avaliser la thèse préconisée par Desjardins, il faudrait alors tirer la conséquence que voici : forcé de respecter l’obligation que lui impose l’article 2091 C.c.Q., le salarié démissionnaire pourrait se voir opposer sans compensation aucune la renonciation unilatérale de son employeur au préavis. Ainsi, pour s’être conformé à l’article 2091 C.c.Q., ce salarié devrait, dans ce contexte, subir la perte de son salaire pendant toute la durée du préavis. C’est d’ailleurs ce qui se serait produit en l’espèce si le nouvel employeur de M. Guay n’avait pas consenti à devancer l’embauche une fois posé le geste unilatéral de Desjardins. La thèse de cette dernière signifie donc que la démission faite conformément à l’article 2091 C.c.Q. emporterait, pour le salarié, une renonciation à l’avance à son droit d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit10 dans une situation où, en définitive, c’est l’employeur qui fixe le moment précis de terminaison du contrat de travail. Je ne puis me convaincre que le législateur ait voulu un pareil résultat et, à mon avis, une interprétation correcte de l’article 2092 C.c.Q., une disposition visant clairement à protéger la partie la plus vulnérable dans un contrat de travail à durée indéterminée, permet d’y faire échec. Je tiens à préciser que, dans le cas où l’employeur s’estimerait insatisfait du moment choisi par le salarié pour mettre fin au contrat, et cela pourrait survenir par exemple dans le cas où le délai de terminaison serait trop long à ses yeux, il a toujours le loisir de donner lui-même un 9 Nathalie-Anne Béliveau, Les normes du travail, 2e édition, Cowansville, Yvon Blais, 2010. 10 Selon les termes mêmes de l’article 2092 C.c.Q.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 13

préavis de terminaison plus court, pour autant que celui-ci soit suffisant au sens des articles 2091 C.c.Q. et 2092 C.c.Q.
[40] De surcroît et abstraction faite de toute considération reposant sur le droit civil, j’estime que les articles 82 et 83 de la Loi ne permettent pas que l’on puisse dégager une règle produisant le résultat souhaité par Desjardins. Je rappelle au passage que la seule question litigieuse concerne ici l’existence du pouvoir discrétionnaire de l’employeur de cesser de payer le salaire pendant la durée du préavis donné par l’employé. Or, la Loi, par ses articles 82 et 83, a essentiellement pour objet d’assurer une compensation minimale pour les pertes résultant d’une terminaison du contrat de travail provoquée par l’employeur. Le respect par l’employé de l’obligation de donner un préavis de fin d’emploi conformément à l’article 2091 C.c.Q. ne peut, à mon avis, emporter pour lui la perte de cette protection que lui accorde une loi d’ordre public à vocation sociale, laquelle doit recevoir une interprétation large et libérale. J’accepte, sous ce rapport, l’argument proposé par la Commission selon lequel les articles 82 et 83 de la Loi s’appliquent lorsque le moment de terminaison du contrat de travail est fixé unilatéralement par l’employeur, indépendamment du fait que l’on puisse ou non qualifier son geste de congédiement.
[41] Dans un autre ordre d’idées, je rappelle que Desjardins ne plaide pas la libération de ses obligations au motif de l’existence d’une cause juste et suffisante de congédiement. Elle soutient plutôt que c’est M. Guay qui a lui-même mis fin à son emploi dès le 15 février, une proposition que j’ai mise de côté dans les paragraphes qui précèdent. Mais, au paragraphe 12 de son exposé et de façon plus ou moins subsidiaire ou implicite, Desjardins propose un autre moyen : elle aurait, dit-elle, pris une mesure administrative dictée par les contraintes propres au marché dans lequel elle évolue. Elle justifie sa renonciation, mais surtout la libération de son obligation de payer le salaire, par le contexte dans lequel sa décision se serait inscrite et l’exprime ainsi dans son exposé des faits :
1. L’Appelante, Asphalte Desjardins Inc., est une compagnie qui œuvre dans le domaine de la construction, plus précisément le pavage de routes.
2. Les clients principaux de l’Appelante sont les instances municipales ou provinciales.
3. Il n’y a qu’un moyen pour obtenir des contrats avec ces instances municipales ou provinciales et c’est le processus de soumissions.
4. Dans ce processus de soumissions, il y a toujours une date butoir où toutes les soumissions doivent être déposées.
5. Toute possibilité qu’un compétiteur connaisse le prix soumissionné par une entreprise met la survie de cette entreprise en danger.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 14

6. En l’espèce, M. Guay, l’employé pour lequel l’Intimée, Commission des normes du travail (C.N.T.), a pris le recours, était directeur de projet chez l’Appelante.
7. Comme directeur de projet, M. Guay avait accès à toutes les soumissions à être déposées par l’Appelante.
8. M. Guay a donné sa démission en date du 15 février, où il annonçait quitter le 7 mars 2008.
9. M. Guay avait déjà, à ce même moment, un travail chez un compétiteur direct de l’Appelante, au même poste de gérant de projet, et ce, avec de meilleures conditions de salaire.
10. Le poste qu’occupait M. Guay chez l’Appelante et le poste qu’il allait immédiatement occuper chez le compétiteur lui donnaient accès à des informations cruciales dans de domaine très compétitif.
11. Asphalte Desjardins Inc. a renoncé au délai de congé donné par M. Guay, demandant à ce dernier de quitter le 19 février 2008.
12. Les raisons qui ont amené Asphalte Desjardins Inc. à renoncer au délai de congé sont objectives et basées sur des impératifs économiques non contestés :
a. Le moment de la démission se situe en pleine saison des soumissions.
b. Les soumissions sont les moyens privilégiés de survie dans l’entreprise.
c. Il était impossible de garder M. Guay à l’emploi alors qu’il avait déjà un poste de Gérant de projet chez un compétiteur. [42] Dans Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la vie11, la Cour suprême analyse longuement les contours du droit d’un employeur de suspendre les effets d’un contrat de travail pour des raisons tenant à la conservation, voire à la survie de l’entreprise. Je retiens notamment des motifs des juges LeBel et Fish les passages suivants :
30 Le présent pourvoi nous invite à déterminer si l’employeur détient le pouvoir implicite de suspendre temporairement les effets d’un contrat de travail ou certaines de ses obligations corrélatives […].
11 [2004] 3 R.C.S. 195.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 15

31 La notion même d’un pouvoir de suspension unilatéral de l’exécution des prestations synallagmatiques d’un contrat se concilie d’ailleurs mal avec la théorie classique des obligations. Il est en effet difficile de concevoir qu’une partie puisse unilatéralement et à sa guise suspendre les effets d’un contrat valablement conclu, en l’absence d’accord entre les contractants pour reconnaître l’existence d’une telle faculté.
[…]
56 Ce pouvoir de direction ne se confond pas avec la faculté de résiliation ou de modification du contrat de travail. Cette faculté de résiliation ou de modification se situe, en effet, dans le cadre de ce pouvoir de direction. Il faut alors rechercher si, de ce pouvoir de direction découlant du rapport de subordination, peut s’inférer l’existence d’un pouvoir de suspension pour raison administrative qui autoriserait l’employeur à ne pas laisser le salarié exécuter sa prestation de travail. Cette décision, qui laisse toutefois intacte le cadre du contrat de travail et les autres obligations qui en découlent, se rattache à l’exercice de la fonction de direction de l’entreprise et trouve sa justification dans la nécessité de préserver l’intérêt de celle-ci. Dans la mesure où l’exécution de la prestation compromettrait elle-même cet intérêt, le pouvoir de suspension apparaît alors comme une composante nécessaire du pouvoir de direction qu’accepte le salarié. Il permet alors à l’employeur de ne pas faire exécuter le travail prévu.
[…]
60 Toutefois, une précision paraît de mise pour souligner que le pouvoir de suspension administrative n’entraîne pas, en principe, comme corollaire, le droit de suspension du salaire. L’employeur ne peut se dégager unilatéralement, sans autre cause, de l’obligation de payer le salaire de l’employé s’il prive ce dernier de la possibilité d’exécuter sa prestation.
61 L’employeur peut toujours renoncer à son droit de recevoir la prestation du salarié mais il ne peut se soustraire à son obligation de payer le salaire lorsque le salarié demeure disponible pour accomplir un travail dont l’exécution lui est refusée. En choisissant de ne pas mettre un terme au contrat de travail avec les compensations afférentes, fixées selon les principes applicables, l’employeur demeure en principe tenu de respecter ses propres obligations réciproques même s’il n’exige pas la prestation de travail de l’employé.
62 Ce pouvoir résiduel de suspendre pour des motifs administratifs en raison d’actes reprochés à l’employé fait partie intégrante de tout contrat de travail mais est limité et doit être exercé selon les conditions suivantes :
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 16

(1) la mesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’entreprise; (2) la bonne foi et le devoir d’agir équitablement doivent guider l’employeur dans sa décision d’imposer une suspension administrative; (3) l’interruption provisoire de la prestation de l’employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distinguerait mal d’une résiliation ou d’un congédiement pur et simple; (4) la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels qui ne se posent pas en l’espèce.
[…]
79 […] L’intimé n’avait pas à subir la suspension de l’exécution de sa prestation de travail imposée par l’appelante et à être aussi privé de sa contrepartie, le salaire. Cette conclusion, parfaitement compatible avec la grande partie de la jurisprudence relative à l’application des conventions collectives par les instances spécialisées en droit du travail, comme nous l’avons vu, découle de la nature des obligations réciproques créées par un contrat individuel de travail régi par le Code civil.
[43] Appliquant cet enseignement au cas à l’étude et en y apportant les adaptations nécessaires, j’estime que la justification invoquée par Desjardins pour suspendre l’exercice des prestations de travail de M. Guay pour la période du 19 février au 7 mars 2008 ne constituait pas une circonstance si exceptionnelle qu’elle l’aurait libérée de son obligation de payer le salaire.
[44] Comme je l’ai déjà mentionné, Desjardins a mis fin au lien d’emploi au sens de l’article 82 de la Loi, ce qui l’a rendue débitrice de la sanction prévue à l’article 83. S’agissant de dispositions d’ordre public destinées à protéger les salariés, le fait que M. Guay ait, après le congédiement, réussi à en diminuer voire à en annihiler les conséquences financières ne vient pas tempérer l’intensité de l’obligation que l’article 83 impose à Desjardins.
[45] En application de l’article 82 de la Loi, M. Guay aurait eu droit à un préavis de quatre semaines, selon les constats de fait du juge. Toutefois, comme le dossier révèle le consentement de M. Guay à une terminaison consensuelle du contrat de travail à la date du 7 mars 2008 et que l’on peut certes inférer celui de Desjardins à cette même date, je conclus que l’obligation de payer l’indemnité afférente au délai-congé a pris fin à ce moment par la rencontre de la volonté des parties. Dit autrement, à compter du 7 mars 2008, ce n’est plus le seul congédiement qui explique la terminaison du contrat d’emploi, c’est aussi l’accord des parties. La prise d’effet du consentement respectif des parties à mettre fin à leur entente vient aussi, en quelque sorte, mettre un terme à l’application des articles 82 et 83 de la Loi à l’égard des droits et obligations nés du lien d’emploi.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 17

[46] Pour ces motifs, je propose de confirmer le jugement de première instance et de rejeter l’appel avec dépens.

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 1

MOTIFS DE LA JUGE BICH

[47] L’employeur peut-il, sans encourir l’obligation découlant des articles 82 et s. de la Loi sur les normes du travail1 [la « Loi »], renoncer au délai de congé que lui donne le salarié démissionnaire en vertu de l’article 2091 C.c.Q.? À mon avis, c’est la question que soulève le pourvoi, question à laquelle, très respectueusement, je ne réponds pas de la même manière que mon collègue le juge Pelletier, préférant pour ma part une réponse affirmative.
[48] Je reconnais que la Loi doit être interprétée de façon large et généreuse, afin de maximiser la protection des salariés, mais je ne peux néanmoins adhérer à l’interprétation que le juge de première instance donne à l’article 82 de la Loi, bien que cette interprétation soit fondée sur une jurisprudence largement majoritaire de la Cour du Québec. Je m’explique.
[49] L’article 2094 C.c.Q., illustration particulière de la règle générale que consacrent les articles 1590, second al., paragr. 2, 1604 et 1605 C.c.Q., permet à chacune des parties à tout contrat de travail de résilier celui-ci, sans préavis, pour motif sérieux, c’est-à-dire pour une raison se rattachant à l’inexécution ou à la mauvaise exécution par l’autre partie de l’une ou l’autre de ses obligations contractuelles (on ne parle pas ici de manquements de peu d’importance)2. Ce n’est toutefois pas de cela qu’il est question en l’espèce : M. Guay a démissionné parce qu’il avait trouvé ailleurs un emploi plus satisfaisant et non parce que l’appelante, son employeur, manquait à ses obligations. De même, la preuve ne révèle pas que, du moins avant le moment de cette démission, l’appelante ait eu quelque reproche à adresser au salarié. La question qui nous intéresse se rattache plutôt à l’exercice de la faculté unilatérale de résiliation accordée aux parties liées par contrat de travail à durée indéterminée.
[50] Le droit commun permet en effet à chacune des parties à un tel contrat de résilier celui-ci à volonté, unilatéralement, en donnant toutefois à l’autre partie un délai de congé raisonnable (ou, si l’on préfère un autre vocable, un préavis raisonnable)3. La faculté de résilier est inhérente à ce type de contrat, qui imposerait autrement des obligations perpétuelles incompatibles avec la liberté des cocontractants. Comme le souligne le juge Rinfret dans Asbestos Corporation Ltd. c. Cook4, « [d]ans un contrat de ce genre, la loi le dit et le bon sens le veut, les parties ne sont pas liées au delà de leur volonté » et ne peuvent l’être. Cela est particulièrement vrai du salarié, qui ne peut pas 1 L.R.Q., c. N-1.1. 2 Voir : Ponce c. Montrusco inc., 2008 QCCA 329, [2008] R.J.D.T. 65 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2008-07-31, 32569), paragr. 12. 3 Cette faculté unilatérale de résiliation n’existe pas dans le cas du contrat à durée déterminée. 4 [1933] S.C.R. 86, p. 99.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 2

être assujetti au delà de sa volonté à un engagement sans fin envers l’employeur. La bonne foi requiert cependant que celui qui résilie le contrat ne le fasse pas d’une manière brusque qui pourrait causer préjudice à son cocontractant et donne à ce dernier un préavis de sa décision. L’article 2091 C.c.Q. exprime aujourd’hui cette règle qui trouve ses origines historiques dans le droit français, où l’on parle parfois de « délai de prévenance », ce qui en rend bien l’idée essentielle, que le droit québécois a graduellement faite sienne5. Ainsi que l’écrivent Morin, Brière, Roux et Villaggi :
II-168 — Comment résilier? — L’article 2091 C.c.Q. annonce haut et clair le caractère résiliable du contrat de travail à la charge de l’initiateur de respecter les moyens afférents (II-64). Cet article 2091 C.c.Q. indique bien que la décision de rupture prise par l’une des parties serait irréversible et prendrait effet le moment dit. La Cour d’appel a déjà dégagé par la voie simple de la déduction la portée qu’elle prête à l’article 2091 C.c.Q. en l’opposant à l’article 2094 C.c.Q. : « Si le contrat de travail peut être résilié sans préavis lorsqu’il existe des motifs sérieux pour ce faire, on peut déduire que le contrat de travail à durée indéterminée peut être résilié sans motif si un préavis est donné ». […]6
[Notes infrapaginales omises.]
[51] Cette faculté de résiliation unilatérale et purement discrétionnaire7 a, il est vrai, été restreinte dans le cas des employeurs, pour des raisons tenant à la protection du salarié, qui est ordinairement la partie vulnérable au contrat de travail. La symétrie contractuelle sur laquelle est fondé l’article 2091 C.c.Q. cache mal, on le sait, le fait que la résiliation du contrat par l’employeur a sur le salarié un impact que n’a généralement pas sur l’employeur la résiliation du même contrat par le salarié. C’est donc pour remédier à cette asymétrie de la réalité que le législateur, et je ne donnerai que cet exemple, a promulgué l’article 124 de la Loi, qui, sans égard au délai de congé, empêche l’employeur de congédier sans cause juste et suffisante le salarié ayant deux années de service continu dans l’entreprise. Mais, hormis les cas où le législateur est intervenu pour limiter la faculté de résiliation de l’employeur ou pour en encadrer l’exercice, l’article 2091 C.c.Q. s’applique pleinement, autorisant l’employeur et le salarié à rompre unilatéralement et discrétionnairement le contrat de travail, moyennant, toutefois, un délai de congé raisonnable.
5 Voir : Asbestos Corporation Ltd. c. Cook, précité, note 4; Stewart c. Hanover Fire Insurance Company, Columbia Builders Supplies Co. c. Bartlett, [1967] B.R. 111; Domtar inc. c. St-Germain, [1991] R.J.Q. 1271 (C.A.); Standard Broadcasting Corp. c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.). La common law a connu le même genre d’évolution : Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701. 6 Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2010, p. 469. 7 Voir notamment : Ponce c. Montrusco inc., précité, note 2, paragr. 12, 15 et 16, qui rappelle le caractère potestatif de cette faculté de résiliation et son appartenance à la catégorie des droits discrétionnaires.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 3

[52] Le juge Baudouin, dans Standard Broadcasting Corp. c. Stewart8, reformulant un énoncé que l’on trouve dans la jurisprudence antérieure, décrit ainsi la raison d’être du délai de congé prévu par l’article 2091 C.c.Q. :
Le délai-congé a essentiellement une vocation indemnitaire et a pour but de permettre à l’employeur de résilier le contrat et de trouver une autre personne pour le poste devenu vacant, et pour l’employé de lui permettre d’avoir un temps raisonnable pour se retrouver un emploi sans encourir de perte économique(11). Les tribunaux agissent alors comme des arbitres et doivent parvenir, en dehors d’une stricte évaluation actuarielle ou comptable, à un chiffre qui, tenant compte de toutes les circonstances, paraît juste et raisonnable. Ce chiffre cependant se base, bien évidemment sur certaines données économiques, notamment le montant de la rémunération antérieure de l’ex-employé.9 ___________________ (11) Isabelle Jolicœur, L’évolution de la notion de délai-congé raisonnable en droit québécois et canadien, Cowansville, Y. Blais, 1993, p. 59 et s.
[Soulignement ajouté.]
[53] Dans l’ouvrage auquel renvoie le passage ci-dessus, Isabelle Jolicœur explique en effet que :
Il faut référer à Planiol et Ripert pour situer cette notion de préavis :
Le délai-congé est un délai que doit respecter celui qui prend l’initiative de la rupture; il s’écoule entre le moment où il signifie cette rupture à l’autre partie et le moment où il rompt avec elle toutes relations de travail […] Cette institution a pour objet d’éviter à l’autre partie le préjudice résultant de la brusque cessation du travail : ainsi prévenu à l’avance, l’employeur peut embaucher en temps utile un nouvel employé pour remplacer celui qui part, sans qu’il y ait interruption dans le travail; dans les mêmes conditions, l’employé a le temps de chercher une nouvelle place et d’éviter le chômage. La pratique a montré que dans l’industrie, les employeurs tiennent moins que les ouvriers au délai-congé parce qu’ils préfèrent être exposés à une main-d’œuvre momentanément réduite plutôt que d’être obligés de garder quelque temps un ouvrier auquel son congé a été signifié […]
Le préavis est une période de temps qui vise à tempérer le préjudice nécessairement associé au droit de résiliation unilatérale. Le préjudice causé à l’employeur par la brusque rupture du contrat consiste à ne pouvoir continuer à recevoir les services de l’employé, ce qui peut perturber de façon plus ou moins
8 Précité, note 5. 9 Id., p. 1758.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 4

importante la bonne marche de l’entreprise; la démission cause peu d’embarras à l’employeur qui peut facilement remplacer l’employé qui le quitte. La résiliation unilatérale à l’initiative de l’employeur prive l’employé de la rémunération qui lui provient de son travail, avec les inconvénients qui en découlent; un congédiement est susceptible de le placer dans une situation où il demeurera sans emploi durant une longue période. […]
[…]
Le délai-congé devrait permettre à l’employé d’éviter la surprise en le faisant bénéficier d’une période de temps suffisante pour trouver un nouvel emploi sans être privé de sa rémunération pendant cette période. […]10
[54] Plus récemment, Morin, Brière, Roux et Villaggi écrivent ce qui suit :
II-168 — […] Vis-à-vis du salarié, ce délai de congé devrait normalement lui éviter une préjudiciable surprise en lui permettant d’entreprendre, en temps utile et de manière convenable, la recherche d’un nouvel emploi. Et ainsi :
— cette opération peut lui être moins pénible lorsqu’il est encore en emploi (des périodes de temps libre lui sont alors parfois accordées à cette même fin);
— prévenu, il peut prendre les mesures personnelles idoines afin de disposer des ressources financières nécessaires durant une éventuelle période de transition.
[…]
II-179 — La démission — Sans égard à ses motifs personnels, le salarié peut résilier le contrat de travail par simple avis de congé donné à l’employeur. Cette démission se réalise aux mêmes conditions, mutatis mutandis, que celles applicables à l’employeur qui procède à une résiliation unilatérale ou à un licenciement (art. 2091 C.c.Q.) (II-169). […]
Les effets réels et pratiques d’une démission sont différents de ceux d’un licenciement ou d’un congédiement du fait que le salarié en est l’initiateur […] D’où la nécessité de replacer dans le contexte de sa finalité propre cette obligation qui est imposée au salarié démissionnaire à travers l’article 2091 C.c.Q. : il s’agit d’atténuer le préjudice subi par l’employeur du fait de la démission, c’est-à-dire lui permettre de se réorganiser, voire de bénéficier d’une
10 Isabelle Jolicœur, L’évolution de la notion de délai-congé raisonnable en droit québécois et canadien, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1993, p. 32 et 34.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 5

certaine période de temps pour trouver un remplaçant et, au besoin, pour le former. […]11 [Notes infrapaginales omises.]
[55] Cette façon de voir reflète le consensus de la jurisprudence et de la doctrine : le délai de congé dont l’article 2091 C.c.Q. assortit l’exercice de la faculté unilatérale de résiliation a pour but de permettre à la partie qui le reçoit de pallier les inconvénients découlant d’une rupture qu’elle ne peut ni contrer ni empêcher. Il n’est pas impossible, bien sûr, que le délai de congé en question comporte, en pratique, un certain avantage pour celui qui le donne et qui s’octroie ainsi une période de transition dont il pourra faire bon usage, mais cela n’est pas l’objectif poursuivi par l’article 2091 C.c.Q., qui vise plutôt la protection du cocontractant. Autrement dit, c’est le droit de ce dernier de recevoir le préavis, et ce, parce qu’il n’a d’autre choix que de subir la résiliation, l’obligation de le donner incombant à celui qui rompt le contrat.
[56] Dans ce contexte, on ne peut donc pas dire que le délai de congé a un caractère synallagmatique ou est porteur d’une obligation synallagmatique qui lierait la partie qui le reçoit : celle-ci, assurément, ne consent pas et n’a du reste pas à consentir au préavis qui lui est donné et elle ne peut pas être liée par la décision unilatérale de son cocontractant de mettre fin au contrat à telle date plutôt qu’à telle autre.
[57] Le droit français a pour sa part reconnu cette notion de « réciprocité » du délai de congé, qui lierait celui qui le donne et celui qui le reçoit, mais cette manière de voir les choses, tributaire d’un encadrement législatif et conventionnel fort différent du nôtre (et ce, depuis la fin des années 1920), ne me paraît pas transposable au droit québécois. Elle a, entre autres, l’inconvénient de forcer le salarié à « purger » la totalité du délai de congé que lui donne l’employeur qui résilie le contrat, sauf accord avec ce dernier quant à un départ anticipé du salarié ou sauf versement à l’employeur, par le salarié, d’une indemnité12 : voilà qui est particulièrement embarrassant pour le salarié qui a profité du délai de congé pour trouver un emploi (ce à quoi sert en principe le délai de congé) et qui, ayant eu une offre, ne pourra pas nécessairement y donner suite si cela implique une entrée en fonction antérieure à la date d’expiration du préavis13. 11 Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, op. cit., note 6, p. 471 et p. 496 et 497. 12 Indemnité équivalente au salaire qui aurait été payé au salarié pour les jours qui restent entre la date de son départ et celle de l’échéance prévue du préavis : Jean Pélissier, Gilles Auzero et Emmanuel Dockès, Droit du travail, 25e éd., Paris, Dalloz, 2011, paragr. 575, p. 627; Claude Roy-Loustaunau, « Préavis », fasc. 32-1, JurisClasseur Travail Traité, cote 05,2009 (consulté sur : http ://www.lexisnexis.com, le 28 août 2012), paragr. 165 et 172 in fine. 13 Voir à ce sujet : Jean Pélissier, Gilles Auzero et Emmanuel Dockès, op. cit., note 12, notamment au paragr. 561 et 574-575, p. 619 et 626-627; Antoine Mazeaud, Droit du travail, 7e éd., Paris, Montchrestien, 2010, paragr. 775, p. 402; André Brun et Henri Galland, Droit du travail, tome 1, Paris, Sirey, 1978, notamment au paragr. 653, p. 837, et aux paragr. 661 et s., p. 846 et s.; Marcel Planiol et Georges Ripert, Traité pratique de droit civil français, tome XI, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1954, paragr. 863-864, p. 110.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 6

[58] Je note au passage qu’on trouve cette idée de réciprocité (bien que le terme n’y soit pas employé) dans l’un des jugements fréquemment cités par la jurisprudence de la Cour du Québec en la matière. En effet, dans Commission des normes du travail c. Hewitt Equipment ltée14, tout en concluant que la renonciation par l’employeur au préavis du salarié démissionnaire ne peut être considérée comme un congédiement au sens de l’article 82 de la Loi, disposition qui, à son avis, ne s’applique pas à une telle situation, le juge Robitaille, se fondant sur le caractère synallagmatique du contrat de travail, décide néanmoins que l’employeur ne peut prétendre, par cette renonciation, priver le salarié du « droit » de recevoir son salaire pendant le préavis (quoiqu’il puisse le dispenser de sa prestation de travail). Il adopte ainsi un point de vue qui coïncide avec celui du droit français. Avec égards, pour les raisons que j’ai déjà exprimées et pour celles qui suivent, c’est un point de vue que je ne peux partager. En donnant le délai de congé, la partie qui résilie unilatéralement le contrat exécute simplement son obligation, et ce, au profit de celui qui a, seul, le droit d’exiger ce préavis et de le recevoir. L’avantage accessoire qu’elle peut en retirer ne saurait se transformer en droit dont son cocontractant deviendrait le débiteur. Ainsi, le salarié ne peut imposer à l’employeur de respecter intégralement le préavis que le premier, unilatéralement, donne au second; pareillement, lorsque c’est l’employeur qui résilie le contrat et donne un délai de congé « travaillé » au salarié15, celui-ci ne peut pas être contraint, à mon avis, de le respecter jusqu’à la toute fin et, s’il décide de partir plus tôt, il ne peut certainement pas être tenu de donner à son tour un préavis de ce départ anticipé ou d’indemniser l’employeur qui comptait sur ses services jusqu’à la fin du délai de congé.
[59] Par ailleurs, le délai de congé prévu par l’article 2091 C.c.Q. n’est pas non plus une condition (au sens des articles 1497 et s. C.c.Q.) de l’exercice de la faculté unilatérale de résiliation, qui en déterminerait la validité, puisqu’en son absence, la résiliation n’est pas nulle, le droit du cocontractant se limitant à celui d’obtenir la compensation du préjudice résultant de l’absence de préavis. Enfin, la durée du préavis est elle aussi tributaire d’une décision unilatérale de la partie qui rompt le contrat et qui évalue ce qui lui paraît raisonnable au regard des facteurs qu’énonce le second alinéa de l’article 2091 C.c.Q., tel qu’interprété par la jurisprudence. L’employeur qui résilie le contrat ne peut par ailleurs donner un préavis qui soit en deçà du minimum prévu par certaines dispositions législatives dont, en l’occurrence, l’article 82 de la Loi. Si la partie qui reçoit le préavis estime que celui-ci n’est pas raisonnable (incluant les cas où il n’a pas la durée minimale requise), elle pourra s’en plaindre devant les tribunaux et réclamer son dû.
[60] En somme, considérant l’objet, le but et la nature de l’obligation de préavis créée par l’article 2091 C.c.Q., on serait a priori porté à conclure que la partie qui reçoit le délai de congé peut y renoncer si, pour une raison ou une autre, elle estime qu’il est dans son intérêt de le faire et qu’elle n’a pas besoin de la protection qui lui est ainsi
14 C.Q., district de Montréal, 500-02-038921-834, 14 décembre 1984, M. le j. Paul Robitaille. 15 Pour le préavis remplacé par une indemnité équivalente, voir infra, paragr. [82] et [83].
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 7

offerte. Ce peut être le cas du salarié remercié de ses services par l’employeur et qui, avant l’échéance du préavis, trouve ailleurs un emploi équivalent. Ce peut être le cas de l’employeur qui ne souhaite pas remplacer le salarié démissionnaire ou, comme en l’espèce, qui estime inopportun de continuer à utiliser les services d’un salarié qui a déjà été embauché par un concurrent16.
[61] On voit cependant le risque que peut entraîner la reconnaissance d’une telle possibilité de renonciation, dans le cas où les parties ne sont pas réellement sur un pied d’égalité, même si elles paraissent l’être juridiquement. Le contrat de travail, qui est très fréquemment un contrat d’adhésion, unit souvent – pour emprunter une image à Jean de La Fontaine – le pot de terre et le pot de fer, le premier étant alors à la merci du second, ainsi que le juge Iacobucci le rappelle avec éloquence dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers17 (les propos qu’il tient alors dans cette affaire de common law ne sont pas moins vrais en contexte civiliste, renvoyant à la réalité des faits). Plus précisément, la possibilité que le salarié puisse renoncer au délai de congé que lui doit l’employeur est porteuse d’abus potentiels : la renonciation du salarié au préavis auquel il a droit pourrait bien n’être, en pareil cas, que le fruit des pressions exercées par l’employeur et non celui d’une décision libre et éclairée. C’est donc pour éviter ce risque, protéger la partie vulnérable – en l’occurrence le salarié – et garantir qu’elle reçoive son dû que le législateur a édicté l’article 2092 C.c.Q. :
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
2092. The employee may not renounce his right to obtain compensation for any injury he suffers where insufficient notice of termination is given or where the manner of resiliation is abusive
[62] Paradoxalement, toutefois, le fait que le législateur, à l’article 2092 C.c.Q., empêche ainsi le salarié de renoncer au délai de congé raisonnable ou à l’indemnité qui en tient lieu confirme qu’à défaut de cet empêchement, une telle renonciation est possible. Et c’est bien parce qu’elle l’est qu’on a voulu l’interdire au salarié. S’il en était autrement, en effet, il n’aurait pas été nécessaire d’édicter cet interdit. [63] Je note par ailleurs que, selon la jurisprudence18, l’article 2092 C.c.Q. n’énonce pas une prohibition absolue : le salarié peut en effet renoncer au préavis que doit lui 16 Ce qui, précisons-le, n’est pas en soi, et sauf circonstances particulières, un manquement à l’obligation de loyauté qui lui incombe en vertu de l’article 2088 C.c.Q. 17 Précité, note 5. 18 Dans Betanzos c. Premium Sound ‘N’ Picture Inc., 2007 QCCA 1629, J.E. 2007-2343, la Cour, se fondant sur l’opinion (majoritaire) de la juge Deschamps dans Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 27, paragr. 60, et les propos de la juge L’Heureux-Dubé dans Garcia Transport inc. c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 490, p. 530 et 531, conclut que, l’article 2092 C.c.Q. relevant de l’ordre public de protection, le salarié peut renoncer au délai de congé ou à l’indemnité équivalente
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 8

donner l’employeur qui résilie le contrat, et ce, à condition que cette renonciation survienne après la rupture du contrat et selon certaines exigences. Cela étant, je ne vois pas pourquoi il serait interdit à l’employeur de renoncer de son côté au préavis que lui donne le salarié démissionnaire, tout comme il me semblerait incongru de l’empêcher d’y renoncer par avance (par exemple par une stipulation contractuelle convenue au moment de la conclusion du contrat, qui permettrait au salarié de démissionner sans préavis).
[64] En somme, si, par souci de le protéger contre les pressions indues d’un employeur malintentionné ou radin, le législateur interdit au salarié de renoncer au préavis que doit lui donner l’employeur qui résilie le contrat (interdit qui n’est pas absolu, comme on vient de le voir), il laisse à l’employeur la pleine liberté de renoncer (ou non) au préavis que lui donne le salarié démissionnaire, jugeant inutile dans son cas la protection d’ordre public qui sous-tend l’article 2092 C.c.Q. L’employeur peut donc, que ce soit d’avance ou au moment de la démission du salarié, renoncer en tout ou en partie au délai de congé prévu par l’article 2091 C.c.Q.
[65] Il appert donc, en définitive, que tant le salarié, à certaines conditions sévères, que l’employeur, sans condition, peuvent renoncer au bénéfice du préavis exigible en cas de résiliation unilatérale.
[66] Il est exact que, de façon générale, on affirme que le contrat de travail se poursuit pendant le préavis, les parties étant alors tenues de respecter les obligations qui leur incombent respectivement en vertu des articles 2087 (qui oblige l’employeur à permettre l’exécution du travail et à verser la rémunération) et 2088 C.c.Q. (qui oblige le salarié à exécuter sa prestation et à demeurer loyal envers l’employeur)19. Mais, cette règle, qui connaît déjà une première exception (dans le cas où la partie qui résilie le contrat, plutôt que de donner un préavis « travaillé », préfère rompre sur-le-champ le contrat et remettre à l’autre une indemnité compensatrice équivalente – voir infra, paragr. [82]), en connaît forcément une seconde : le contrat ne peut se poursuivre si la partie qui reçoit le préavis renonce à l’avantage que lui confère l’article 2091 C.c.Q. Dans l’état actuel du droit, on ne peut sûrement pas inférer du fait que le contrat se poursuit pendant le préavis l’impossibilité de renoncer à celui-ci.
[67] Je note au passage que si l’on voulait assimiler le préavis, malgré qu’il soit le fruit d’une décision unilatérale, à un terme suspensif au sens de l’article 1508 C.c.Q. (la démission du salarié ou la rupture par l’employeur ne prenant effet qu’à l’expiration de
postérieurement à la naissance de son droit (donc après la rupture du contrat), à condition d’agir en toute connaissance de cause. Voir aussi : Desfossés c. Marketing Comunika inc., [2010] R.J.D.T. 109 (C.S.). 19 On notera tout de même que ces obligations connaîtront certaines modulations dues, inévitablement, à l’extinction prochaine du contrat, qui change complètement la perspective dans laquelle les parties continuent, pour un temps, leur relation.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 9

ce terme), la solution serait la même. Il faudrait en effet considérer alors l’article 1511 C.c.Q. (auquel l’article 1512 ne fait pas exception) :
1511. Le terme profite au débiteur, sauf s’il résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été stipulé en faveur du créancier ou des deux parties.
La partie au bénéfice exclusif de qui le terme est stipulé peut y renoncer, sans le consentement de l’autre partie.
1511. A term is for the benefit of the debtor, unless it is apparent from the law, the intent of the parties or the circumstances that it has been stipulated for the benefit of the creditor or both parties.
The party for whose exclusive benefit a term has been stipulated may renounce it, without the consent of the other party.
[68] Or, comme l’indiquent la jurisprudence et la doctrine précitées, le consensus semble être fait autour de l’idée que les circonstances de l’exercice de la faculté de résiliation du contrat à durée déterminée font du préavis régi par l’article 2091 C.c.Q. une sorte de terme stipulé au bénéfice exclusif du créancier, à savoir la partie qui subit la résiliation voulue et imposée par l’autre, et ce, même si celui qui donne le préavis peut en tirer lui-même un certain avantage pratique. Je n’exclus pas que, dans certaines circonstances, le préavis puisse être au bénéfice des deux parties (voir infra, paragr. [85]), mais la preuve révèle que ce n’est pas le cas ici : le salarié a donné un délai de congé parce qu’il y était tenu et non parce qu’il devait se ménager une transition entre l’emploi qu’il occupait chez l’appelante et celui qu’il avait accepté chez un concurrent. Il est d’ailleurs entré en poste chez ce dernier aussitôt que l’appelante lui a signifié qu’elle n’entendait pas le forcer à exécuter son préavis.
[69] La question demeure alors de savoir si la renonciation de l’employeur au préavis que lui donne le salarié peut néanmoins être considérée comme mettant fin au contrat de travail au sens de l’article 82 de la Loi.
[70] À mon avis, on ne peut pas considérer que l’employeur, en renonçant au préavis auquel l’article 2091 C.c.Q. lui donne droit, se trouve de ce fait à mettre fin au contrat selon la Loi (pas plus que selon le droit commun). Car même si le contrat de travail devait survivre pendant la période de délai de congé et aux fins de celle-ci, son sort est déjà irrémédiablement fixé à compter du moment où le salarié annonce sa démission. Il y aura extinction du rapport contractuel à la fin de la période de préavis par le fait d’une décision unilatérale du salarié, dont le préavis retarde simplement l’effet. La renonciation de l’employeur à ce préavis ne peut changer ce fait ni les conséquences juridiques de celui-ci.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 10

[71] Je suis donc globalement d’accord avec le raisonnement du juge Tremblay dans ChemAction inc. c. Clermont20 et notamment avec le passage suivant (même si je n’adhère pas à l’idée de remise évoquée au paragraphe 52 de la citation ci-dessous) :
[48] Dans la mesure où l’employeur renonce à ce droit pour des motifs personnels, en quoi la situation juridique que constitue la démission a-t-elle été modifiée ? Lorsqu’un salarié donne sa démission à l’employeur, la situation juridique des parties est cristallisée. Le délai de congé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission. C’est l’employeur qui bénéficie d’une protection. S’il renonce totalement et sans condition au bénéfice du temps, la démission devient effective immédiatement. S’il y renonce partiellement (délai de congé plus court), la démission sera effective plus rapidement.
[49] Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l’employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que doit lui donner le salarié.
[50] Comment « le salarié démissionnaire [peut-il] valablement exiger de l’employeur une quelconque indemnité en raison de cette fin d’emploi puisqu’il en est l’auteur » [renvoi omis]. Le salarié est mal venu de contester sa propre décision.
[51] Ici la confusion vient des explications données par Cantin pour justifier sa renonciation au délai de congé offert par Pelletier et Clermont. Peu importe que Cantin ait perdu confiance en ses employés; n’ait pas aimé leur attitude; soit amer; ait des reproches à leur faire ou encore qu’il ait pris quelques heures pour réfléchir et finalement renoncer au délai de congé offert par les salariés. Les motifs personnels de Cantin pour justifier sa renonciation au préavis sont de peu d’importance et ne changent en rien la situation juridique. Pelletier et Clermont ont offert leur démission et Cantin a accepté qu’elle devienne effective le jour même et non deux semaines plus tard.
[52] Si la renonciation par l’employeur au délai de congé offert par le salarié démissionnaire équivalait à un congédiement, alors cela signifierait que l’employeur devrait toujours respecter le délai de congé déterminé par le salarié (pour autant qu’il soit raisonnable). Il ne pourrait renoncer à ce délai qu’en cas de faute grave donnant ouverture à un congédiement immédiat, sans préavis. Or l’employeur peut faire remise au salarié de son obligation (article 1687 C.c.Q.) : […]
[53] Si un salarié renonce au délai de congé raisonnable que doit lui donner l’employeur en cas de congédiement (ou de licenciement), l’on ne va certes pas conclure que le congédiement s’est transformé en démission ! Alors pourquoi en 20 2008 QCCQ 7353, J.E. 2008-1789.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 11

serait-il autrement pour l’employeur qui ne fait que renoncer à son droit d’obtenir un préavis du salarié démissionnaire?
[72] La jurisprudence postérieure à cette décision, et c’est le cas du jugement a quo, a tenté de distinguer cette affaire en apportant un tempérament à la règle voulant que la renonciation de l’employeur au préavis du salarié démissionnaire équivaille à mettre fin au contrat au sens de l’article 82 de la Loi. Citant les auteurs Audet, Bonhomme, Gascon et Cournoyer-Proulx, le juge Massol, en l’espèce, écrit que :
[37] À cette tendance lourde, on est venus, là aussi, apporter un autre tempérament :
Il faut toutefois distinguer la situation où un salarié annonce son intention de démissionner à une date déterminée dans le futur de celle où un salarié annonce son intention de démissionner sur-le-champ, tout en offrant à son employeur de travailler pendant un certain temps afin de demeurer en bons termes avec ce dernier. Dans ce dernier cas, si l’employeur décline son offre, on ne peut considérer que celui-ci a résilié le contrat de travail et qu’il est tenu de fournir le préavis de l’article 82.
[38] On cite, au soutien de ce commentaire, la récente décision rendue par notre collègue Christian M. Tremblay en 2008 [renvoi omis].
[39] Dans cette affaire, le salarié avait remis sa démission un 14 novembre afin de se lancer en affaires. Il avait cependant offert de rester jusqu’à la fin du mois de novembre pour finir certains contrats. L’employeur avait néanmoins refusé l’offre et demandé au salarié qu’il quitte sur-le-champ, étant d’avis qu’il était préférable de terminer la relation le plus rapidement possible. Le juge Tremblay semble s’inscrire à l’encontre de la tendance précitée. Il mentionne :
[…] Une démission ne devient pas un congédiement tout simplement parce que l’employeur renonce au délai de congé que doit lui offrir le salarié avant de mettre fin au contrat de travail. » [renvoi omis]
[40] Il complète :
[…] Lorsqu’un salarié donne sa démission à l’employeur, la situation juridique des parties est cristallisée. Le délai de congé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission. C’est l’employeur qui bénéficie d’une protection. S’il renonce totalement et sans condition au bénéfice du temps, la démission devient effective immédiatement. S’il y renonce partiellement (délai de congé plus court), la démission sera effective plus rapidement.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 12

Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l’employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que lui donne le salarié. [renvoi omis]
[41] Le juge Tremblay emploie également la notion de « remise » (art. 1687 C.c.Q.) pour renforcer l’argument à l’effet que l’employeur peut renoncer à son droit de recevoir un avis raisonnable.
[42] Le soussigné estime que dans le cas sous étude, monsieur Guay formulait plus qu’une offre de demeurer à l’emploi de la défenderesse; la lettre de démission est claire à cet égard. Il mentionnait qu’il quitterait son emploi le 7 mars 2008. Le reste des explications a été fourni par la suite. Bien sûr, pendant le délai de trois semaines séparant la manifestation de sa volonté et la prise d’effet de sa démission, il devait nécessairement occuper son temps. Il croyait, en employé consciencieux, que son temps pouvait être mis à profit en effectuant une transition harmonieuse entre lui et son successeur. Ce faisant, le salarié se conformait à l’obligation imposée par l’article 2091 C.c.Q.21
[73] Autrement dit, l’employeur peut refuser l’offre qui lui est faite par le salarié de rester un certain temps, mais ne peut renoncer au préavis que lui donne le salarié qui annonce son départ plus fermement, sans utiliser le langage de l’offre. Je me permets de ne pas souscrire à cette lecture de l’affaire ChemAction inc. c. Clermont, en ajoutant que la distinction que l’on tente d’établir ici22 entre le salarié qui démissionne en donnant un préavis bien déterminé et le salarié qui démissionne en offrant simplement de rester quelque temps ne peut convaincre, je le dis avec déférence. Les salariés ne s’expriment pas tous avec le même aplomb ou la même clarté, certains sont plus affirmatifs que d’autres ou, à l’inverse, plus embarrassés et, à mon avis, l’on ne peut pas différencier celui ou celle qui déclare démissionner dans trois semaines et celui ou celle qui déclare démissionner tout en offrant de rester trois semaines pour accommoder l’employeur (ce qui, soit dit en passant, est précisément le but du délai de congé). En tout respect pour l’opinion contraire, je ne peux voir de distinction juridique dans ce qui relève d’une sémantique de circonstance. Dans les deux cas, plutôt, le salarié se décharge de l’obligation que lui impose l’article 2091 C.c.Q. en prévenant l’employeur de son départ et en lui laissant un certain temps pour s’en remettre.
[74] Et dans un cas aussi bien que dans l’autre, j’estime que l’employeur peut renoncer à ce préavis (c’est-à-dire au droit qu’il a de l’exiger), sans pour autant que cette renonciation entraîne l’application de l’article 82 de la Loi.
21 Pour une autre affaire où l’on semble retenir ce genre de distinction et où l’on a l’exemple d’un salarié qui « offre » de rester, voir : Québec (Commission des normes du travail) c. Ventes manufacturières M.S.I. (Canada) inc., [1999] J.Q. no 5681 (C.Q.). 22 Distinction que l’intimée avalise au paragr. 39 de son mémoire.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 13

[75] Cette vision des choses ne me paraît pas contrarier l’intention qu’avait le législateur en adoptant cette disposition, qui vise à protéger le salarié contre la résiliation imposée par l’employeur, et ce, en fixant le seuil minimum du préavis ou de l’indemnité qui en tient lieu, évitant ainsi bien des débats. Cette disposition, cependant, ne régit aucunement la démission du salarié23 ni n’a vocation à le faire et ne peut, il me semble, s’appliquer en pareil cas, quelle que soit la façon dont l’employeur réagit à cette démission (sous réserve évidemment d’une conduite fautive ou abusive de sa part).
[76] L’article 82 de la Loi, en effet, me paraît clair :
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
Cet avis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’un an de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifie de dix ans ou plus de service continu.
L’avis de cessation d’emploi donné à un salarié pendant la période où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dans le cas d’un emploi dont la durée n’excède habituellement pas six mois à chaque année en raison de l’influence des saisons.
Le présent article n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit qui lui est conféré par une autre loi.
82. The employer must give written notice to an employee before terminating his contract of employment or laying him off for six months or more.
The notice shall be of one week if the employee is credited with less than one year of uninterrupted service, two weeks if he is credited with one year to five years of uninterrupted service, four weeks if he is credited with five years to ten years of uninterrupted service and eight weeks if he is credited with ten years or more of uninterrupted service.
A notice of termination of employment given to an employee during the period when he is laid off is absolutely null, except in the case of employment that usually lasts for not more than six months each year due to the influence of the seasons.
This section does not deprive an employee of a right granted to him under another Act.
[77] La disposition vise le seul cas où l’employeur est celui qui met fin au contrat de travail (ou qui procède à une mise à pied de plus de six mois), c’est-à-dire celui qui prend l’initiative – et la décision – de rompre le contrat de travail à durée indéterminée. Lorsque c’est le salarié qui démissionne, les obligations liées à cet acte juridique et à ses conséquences ne se trouvent pas dans le champ d’application de l’article 82 de la Loi. 23 Quand il s’agit d’une véritable démission, il va sans dire.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 14

[78] L’intimée a fait un certain cas de ce que le législateur, à l’article 82, parle de « mettre fin au contrat », sans user, comme le font d’autres dispositions, du terme « licenciement » ou « congédiement ». Il aurait ainsi indiqué son intention de couvrir toutes les manières par lesquelles un employeur peut rompre le contrat de travail, y compris donc, lorsqu’il renonce au préavis que lui donne le salarié démissionnaire, renonciation sans laquelle le contrat se poursuivrait jusqu’à l’échéance dudit préavis.
[79] Il est vrai que l’article 82 de la Loi, en parlant de « mettre fin » au contrat de travail du salarié, use d’un terme large. On se rappellera qu’à l’origine, et jusqu’en 1991, cette disposition s’appliquait en cas de « licenciement », vocable qui avait donné lieu à une certaine controverse : l’article 82 s’appliquait-il aussi à des situations de rupture autres que le licenciement (c’est-à-dire la rupture du contrat pour des motifs purement économiques ou administratifs)? Visait-il aussi le congédiement? En modifiant l’article 82, qui parle désormais du cas où l’employeur met fin au contrat de travail, c’est à cette controverse que l’on a voulu remédier (entre autres choses, l’article 82 ayant subi d’autres modifications qui ne sont pas pertinentes ici). Audet, Bonhomme, Gascon et Cournoyer-Proulx expliquent à ce propos que :
22.2.2 L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions le 1er janvier 1991 n’a pas modifié de manière substantielle le régime du préavis de licenciement ou de mise à pied instauré par les anciens articles 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail. Ainsi, la réforme de 1991 n’a pas touché les principales caractéristiques de ce régime, soit :
 l’obligation pour l’employeur de donner au salarié un préavis écrit en cas de cessation d’emploi ou de mise à pied de plus de six mois;
 l’utilisation du « service continu » comme critère déterminant la durée du préavis, selon le rapport suivant : le préavis est d’une semaine si le salarié justifie d’au moins trois mois et moins d’un an de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie de cinq à dix ans de service continu, et de huit semaines s’il justifie de dix ans de service continu ou plus;
 l’obligation de verser une indemnité compensatrice en cas de défaut de donner un préavis. Ce défaut ne permet donc pas de demander l’annulation de la cessation d’emploi (ou du licenciement) ou de la mise à pied;
 des exceptions à l’application de l’article 82 dans le cas de faute grave du salarié, de cas fortuit (ou de cas de force majeure), d’un contrat pour une durée déterminée ou pour une entreprise déterminée.
22.2.3 On peut néanmoins noter certaines différences entre les anciennes et les nouvelles dispositions, dont les suivantes :
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 15

 contrairement à son prédécesseur, le nouvel article 82 ne renvoie pas à la notion de licenciement, mais plutôt à celle de la « cessation » ou de la « fin » du contrat de travail. Le législateur vient ainsi dissiper toute ambiguïté quant à l’application de l’article 82 aux situations de congédiement pour motifs disciplinaires;
 le nouvel article 82 précise clairement qu’il n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit que lui reconnaît une autre loi. Comme on l’a mentionné dans la première partie de cet ouvrage, cette modification a mis fin au débat en jurisprudence sur la question de savoir si l’article 82 prescrit une norme minimale ou absolue;
 alors que l’ancien article 82 ne s’appliquait pas aux cadres, seuls les cadres supérieurs sont exclus des bénéfices du nouvel article 82, compte tenu du paragraphe 6 de l’article 3 de la Loi sur les normes du travail;
 les nouvelles dispositions précisent les règles applicables au cas du salarié mis à pied pour une période indéterminée, tel que nous le verrons plus amplement au chapitre 29 du présent ouvrage.24 [Notes infrapaginales omises.]
[80] À mon avis, le législateur n’entendait pas, dans le cadre des articles 82 et suivants de la Loi, s’occuper de la situation où l’employeur renonce au préavis du salarié démissionnaire et n’entendait pas davantage imposer en matière de préavis, implicitement, un principe de réciprocité qui ne concorde pas avec l’économie des articles 2091 et 2092 C.c.Q., dispositions qui forment la toile de fond du régime établi par la Loi. Celle-ci, bien sûr, y déroge à maints égards, mais rien n’indique que le législateur ait voulu s’intéresser ici aux conséquences juridiques de la démission du salarié sur l’employeur. En pareil cas, il convient d’interpréter la Loi en concordance avec le Code civil, dans la mesure du possible, pour des raisons de cohérence.
[81] Je me permets de souligner par ailleurs que si l’on devait retenir que l’article 82 de la Loi s’applique à ce genre de situation, il faudrait alors conclure que l’employeur est redevable de l’entièreté du préavis fixé par cette disposition, considérant le caractère d’ordre public qui est le sien par l’amalgame des articles 93, 99 et 101 de la Loi et considérant qu’il échappe entièrement à l’obligation de mitigation que le droit commun impose au salarié. Ainsi, le salarié ayant plus de dix ans d’ancienneté et qui démissionne en donnant un préavis de quatre semaines auquel renonce son employeur aurait droit à une indemnité équivalente à huit semaines de préavis. En l’espèce, M. Guay, qui avait plus de cinq ans de service continu chez l’employeur aurait dû recevoir un préavis de quatre semaines, nonobstant le fait qu’il a donné un préavis de 24 Georges Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon et Magali Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3e éd. (feuilles mobiles), vol. 2, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1991, paragr. 22.2.2 et 22.2.3., p. 22-5 à 22-7.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 16

trois semaines. Ces résultats montrent, il me semble, que tel ne peut être le sens de la disposition.
* *
[82] Finalement, et dans un tout autre ordre d’idées, je me permettrai un commentaire rattaché au paragraphe [33] des motifs du juge Pelletier. L’article 2091 C.c.Q. oblige la partie qui veut résilier le contrat à donner à l’autre un délai de congé raisonnable pendant lequel, comme on l’a vu, les parties demeureront liées l’une à l’autre et devront continuer d’exécuter leurs obligations (sauf renonciation). La pratique veut cependant que l’employeur puisse, à sa convenance, plutôt que d’attendre l’échéance du délai de congé, résilier immédiatement le contrat de travail tout en versant au salarié une indemnité équivalant au salaire et autres bénéfices auquel le second aurait eu droit s’il avait travaillé durant toute la période du délai en question. C’est en quelque sorte, pour l’employeur, une manière de compenser par avance le préjudice que subirait le salarié du fait d’une résiliation soudaine et sans préavis. Mon collègue soulève des doutes au sujet de cette pratique – ce droit, plutôt –, qui a pourtant été maintes fois avalisée par la jurisprudence25 et la doctrine26. À mon avis, il n’y a aucune raison de la remettre en cause. On notera d’ailleurs que l’article 83 de la Loi fait en sorte qu’il n’en va pas autrement du délai de congé fixé par l’article 82 : si l’employeur ne le donne pas, il est tenu d’en verser l’équivalent salarial, et ce, au moment de la cessation d’emploi27.
[83] Toutes ces dispositions ont toujours été vues comme permettant à l’employeur, à son gré, de choisir soit de donner un préavis « travaillé », qui retarde l’effet de la rupture du contrat jusqu’à son échéance (sous réserve du droit du salarié de ne pas purger ce préavis jusqu’à la fin), soit de rompre immédiatement le contrat tout en versant au salarié l’indemnité compensatrice équivalente que prévoit la loi (le droit de recours du salarié étant par ailleurs pleinement réservé, cela va sans dire, dans le cas où
25 Voir par exemple : Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, paragr. 2; Ponce c. Montrusco inc., précité, note 2, paragr. 13; Bristol-Myers Squibb Canada inc. c. Legros, 2005 QCCA 48, [2005] R.J.Q. 383, paragr. 30 (motifs majoritaires de la juge Mailhot) ainsi que paragr. 99 et note infrapaginale 23 (motifs dissidents du j. Nuss); Hemens c. Sigvaris Corp., [2004] R.J.Q. 2918 (C.A.), paragr. 41; Musitech Services éducatifs inc. c. Ben-Hamadi, J.E. 2004-1577 (C.A.), paragr. 72; Shire Biochem Inc. c. King, J.E. 2004-207 (C.A.), paragr. 16; Standard Broadcasting Corp. c. Stewart, précité, note 5, p. 1754 (motifs du juge LeBel, par ailleurs dissident sur la question de l’abus de droit). 26 Voir par exemple : Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, op. cit., note 6, paragr. II-170, p. 475-476; Robert P. Gagnon, Le droit du travail au Québec, 6 éd., sous la dir. de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2008, paragr. 171, p. 131; A. Edward Aust et Lyne Charrette, Le contrat d’emploi, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1993, p. 163; Isabelle Jolicœur, op. cit., note 10, p. 34; George Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon, Magali Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3e éd. (feuilles mobiles), vol. 1, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1991, paragr. 5.1.1, p. 5-1 et 5-2, ainsi que note infrapaginale 3. 27 Ou de la mise à pied pour plus de six mois, la Loi s’intéressant également aux mises à pied à durée indéterminée ou dont la durée, fixée initialement à moins de six mois, se prolonge au delà de cette période.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 17

l’employeur ne lui accorde pas le délai de congé requis ou l’indemnité équivalente). Il ne me semble pas que la présente affaire puisse être l’occasion d’une remise en question de cette règle28.
* *
[84] Bref, je suis d’avis 1° que l’employeur peut librement (que ce soit d’avance, au moment de l’annonce de la rupture ou même par la suite) renoncer au préavis que le salarié démissionnaire est tenu de lui donner en vertu de l’article 2091 C.c.Q. et que 2° ce faisant, il ne se trouve pas à mettre fin au contrat de travail au sens de l’article 82 de la Loi, qui n’a pas d’application en pareil cas.
[85] Je ne nie pas qu’il puisse être opportun que le législateur intervienne en ce sens, tout au contraire pour assurer la protection de l’intérêt pratique qui échoit au salarié démissionnaire du fait du préavis qu’il est tenu de donner à l’employeur. La vision que je propose dans le cadre des présents motifs repose sur une approche contractuelle qui peut sembler heurter les principes sous-jacents à la protection des salariés, protection qui sous-tend désormais le chapitre que le Code civil consacre au contrat de travail et que promeut le législateur dans sa législation du travail. Néanmoins, il y a ici un problème qui ne peut être résolu qu’en fonction des règles ordinaires du contrat. Une solution modelée sur le droit français et qui consisterait à dire que le préavis lie l’une et l’autre parties me semble comporter des inconvénients majeurs pour le salarié. De même, compte tenu de son historique législatif, il paraît hasardeux de dire que l’article 82 de la Loi s’applique à une situation comme celle de l’espèce29.
[86] Je ne nie pas non plus que l’intérêt du salarié démissionnaire dans le délai de congé qu’il donne est sans doute accessoire juridiquement, mais peut néanmoins être important pour lui (encore que les préavis auxquels sont tenus les salariés soient ordinairement assez courts). On peut penser, par exemple, à la situation du salarié qui, six ou douze mois avant d’atteindre l’âge de 65 ans (ou un autre âge), annonce à son employeur qu’il prendra sa retraite le jour de son prochain anniversaire ou à celui qui doit quitter son emploi en vue de s’occuper d’une personne malade et donne en 28 Techniquement, le salarié démissionnaire tenu de donner un préavis peut lui aussi remplir cette obligation en en donnant l’équivalent monétaire à l’employeur, mais cette possibilité demeure assez théorique, vu la difficulté de quantifier la valeur du préjudice en pareil cas. On trouve dans la jurisprudence quelques affaires dans lesquelles l’employeur a poursuivi le salarié démissionnaire qui n’avait pas donné de préavis, mais elles ne sont pas nombreuses, les coûts d’une action en justice dépassant généralement ce que l’employeur peut espérer comme compensation (c’est-à-dire la réparation du préjudice que cause l’absence de préavis par le salarié démissionnaire). Il est en outre impossible d’en tirer une règle générale qui pourrait servir de barème à l’établissement d’une indemnité compensatrice. Voir par exemple : Teamco c. Daigle, 2011 QCCQ 5084, 2011EXP-2124; Chaussures Aubin & Roy inc. (Chaussures Pop) c. Verreault, 2010 QCCQ 6558, 2010EXPT-1991; Carrefour immobilier de l’Estrie inc. (Groupe Sutton de l’Estrie) c. Gagnon, 2007 QCCS 4471, J.E. 2007-1968. 29 Bien que l’article 82 s’applique assurément aux cas de démissions qui cachent plutôt un congédiement ou qui reposent sur un manquement de l’employeur à ses propres obligations.
2013 QCCA 484 (CanLII)
500-09-020950-101 PAGE : 18

conséquence un préavis de son départ. On se rebiffe tout naturellement contre l’idée qu’en pareil cas l’employeur puisse renoncer au préavis et priver ainsi le salarié d’une rémunération sur laquelle celui-ci pouvait légitimement compter. Mais sauf une intervention législative, qui est sans doute souhaitable, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 82 de la Loi à une situation comme celle de l’espèce. Par ailleurs, en attendant une telle intervention législative, on peut penser que l’employeur qui, en pareil cas, se conduirait de cette façon, abuserait de son droit à la renonciation, au sens des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., et pourrait en être tenu responsable.
[87] Pour ces raisons, je suggérerais donc d’accueillir l’appel et de rejeter l’action de l’intimée.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.