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2018,  UNE ANNÉE «HORRIBILIS» POUR LES COURTIERS IMMOBILIERS

Deux événements sont intervenus en 2018 qui, à mon avis, ébranlent le fondement même des règles qui, jusqu’à récemment, encadraient  le courtage immobilier.

Il s’agit des amendements à la Loi sur le Courtage Immobilier (LCI) sanctionnés le 13 juin 2018 et la décision du Tribunal Administratif du Travail (TAT) dans l’affaire Re/Max du Cartier rendue en date du 18 mai 2018.

Ce qui surprend c’est le silence radio qui a suivi de la part des organismes représentant les courtiers (les Chambres Immobilières, la Fédération) ainsi que les organismes s’adressant au public (l’OACIQ, les Collèges en immobilier).

Pourtant, avec les amendements à la LCI, les courtiers (maintenant les détenteurs de permis) ont perdu leur exclusivité de pratique.

À mon avis, la porte est maintenant grande ouverte pour les Du Proprio, coach en immobilier, conseillers en immobilier, et autres appellations qui vont surgir dans un avenir prochain et ce, sans que ces intervenants soient soumis à l’OACIQ, protecteur du public.

Pourtant, suite à la décision du TAT dans Re/Max du Cartier, les coûts des franchiseurs vont augmenter (à mon avis sensiblement à moyen terme) sans compter le précédent que cette décision crée à ce que les courtiers soient considérés salariés au sens de d’autres lois, plus particulièrement la Loi sur les normes du travail (LNT).

I – La perte de l’exclusivité de pratique

  1. A) La LCI avant le 13 juin 2018

CHAPITRE I

CHAMP D’APPLICATION

 La présente loi s’applique à toute personne ou société qui, pour autrui et contre rétribution, se livre à une opération de courtage relative aux actes suivants:

 1o      l’achat, la vente, la promesse d’achat ou de vente d’un immeuble, ou l’achat ou la vente d’une telle promesse;

 2o        la location d’un immeuble, dès qu’il y a exploitation d’une entreprise par la personne ou la société qui agit à titre d’intermédiaire dans ce domaine;

 3 o     l’échange d’un immeuble;

 4 o     le prêt garanti par hypothèque immobilière;

 5 o     l’achat ou la vente d’une entreprise, la promesse d’achat ou de vente d’une entreprise ainsi que l’achat ou la vente d’une telle promesse, par un seul contrat, si les biens de l’entreprise, selon leur valeur marchande, sont principalement des biens immeubles.

 Toutefois, la présente loi ne s’applique pas à une opération portant sur un instrument dérivé au sens de la Loi sur les instruments dérivés (chapitre I-14.01) ou à une opération portant sur une valeur mobilière au sens de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1).

Selon cette définition, tout acte relatif à l’achat, vente, promesse d’achat ou vente d’un immeuble ou l’achat ou la vente d’une telle promesse, constitue une opération de courtage qui, de par les dispositions de l’article 4, est réservée aux détenteurs de permis, courtiers en immobilier.

Certes, il existait une question en droit, c’est-à-dire l’opération de courtage telle que définie dans la LCI incluait-elle un organisme qui conseille un acheteur ou un vendeur dans le contexte d’un achat, vente, promesse d’achat ou vente d’un immeuble.

À l’époque, l’OACIQ avait présenté une requête en jugement déclaratoire à l’encontre Du Proprio et ce, devant la Cour supérieure.

L’audience sur le fond a été fixée au 9 septembre 2019.  Par ailleurs, Du Proprio a présenté une requête en rejet alléguant que la requête sur le fond devenait académique compte tenu des amendements à la LCI du 13 juin 2018.  Cette requête préliminaire doit être entendue dans les semaines qui suivent.

Il se peut fort que la Cour Supérieure ne reçoive pas cette requête préliminaire puisque ceci l’obligerait à interpréter la Loi telle qu’elle existe présentement, ce qui n’est pas visé par la requête originale.

Je suis d’avis, nonobstant, que les soumissions de Du Proprio sont tout de même solides.

Il est fort possible que la LCI, après le 13 juin 2018, rende académique tout jugement de la Cour supérieure sur la LCI avant ses amendements.

Nonobstant, il serait tout de même intéressant de connaître l’opinion de la Cour à savoir si une organisation du type Du Proprio qui se livrait à des conseils à son client (l’acheteur ou le vendeur) à chaque étape du processus de vente ou d’achat de l’immeuble, constituait ou non une opération de courtage telle que définie à la LCI avant juin 2018.

  1. B) La LCI après le 13 juin 2018

CHAPITRE I

CHAMP D’APPLICATION

 Pour l’application de la présente loi, est un contrat de courtage immobilier:

 1 o     le contrat par lequel une partie, le client, en vue de conclure une entente visant la vente ou la location d’un immeuble, charge l’autre partie d’être son intermédiaire pour agir auprès des personnes qui pourraient s’y intéresser et, éventuellement, faire s’accorder les volontés du client et celles d‘un acheteur, d’un promettant-acheteur ou d’un promettant-locataire;

 2 o     le contrat par lequel une partie, le client, en vue de conclure une entente visant l’achat ou la location d’un immeuble, charge l’autre partie d’être son intermédiaire pour agir auprès des personnes qui offrent un immeuble en vente ou en location et, éventuellement, faire s’accorder les volontés du client et celles d’un vendeur, d’un promettant-vendeur ou d’un promettant-locateur.

N’est pas un contrat de courtage immobilier visé par la présente loi celui par lequel l’intermédiaire s’oblige sans rétribution.

Dorénavant, pour qu’il s’agisse de courtage immobilier, il est nécessaire qu’il existe un contrat par lequel le client, en ce qui concerne l’achat, vente d’un immeuble ou une promesse d’achat ou vente, charge une autre partie d’être son intermédiaire pour agir auprès de d’autres personnes qui pourraient être intéressées à l’immeuble.

À son article 2, la LCI stipule que «nul ne peut agir comme intermédiaire à un contrat de courtage à moins d’être titulaire d’un permis de courtier ou d’agence».

Alors qu’antérieurement, tout acte relatif à l’achat, vente, promesse d’achat ou vente d’un immeuble constituait une opération de courtage exclusivement réservée aux courtiers immobiliers.  Dorénavant, seuls les actes relatifs à l’achat, la vente, promesse d’achat ou vente d’un immeuble en tant qu’intermédiaire entre le client et toute personne intéressée, constituerait une opération de courtage et relèverait seulement des détenteurs de permis.

À mon avis, il est assez clair de par ses dispositions de la Loi que tout individu, organisation, compagnie qui n’agit pas comme intermédiaire dans de telles transactions, est tout à fait apte et autorisé à procéder à offrir ses services et agir en toute impunité en autant qu’il n’agit pas comme intermédiaire.

D’ailleurs, l’article 30 de la LCI restreint la mission de l’OACIQ pour assurer la protection du public dans le domaine du courtage immobilier et du courtage en prêt garanti par hypothèque immobilière.

À mon avis, s’il ne s’agit pas d’opérations effectuées dans le domaine du courtage immobilier (ie: à titre d’intermédiaire) l’OACIQ n’a aucune juridiction sur les actes, conduites et services rendus par des Du Proprio, coach ou autre intervenant de ce type.

À l’époque, le ministre avait souligné qu’il était d’avis que des services tels ceux rendus par Du Proprio, étaient demandés et bienvenus de la part du public.

Il s’agissait entre autre aussi de permettre au contribuable d’utiliser les services de tiers à un coût moindre.

Ceci est compréhensible et possiblement louable.

Par ailleurs, il me semble que la protection du public arrive dorénavant bon deuxième.

Du côté des agences et des courtiers, il leur revient d’offrir leurs services en soulignant le professionnalisme et l’assurance que le contribuable aurait en faisant affaire à un professionnel (ie: un détenteur de permis); le tout justifiant les coûts supérieurs chargés par rapport aux services rendus par un conseiller, Du Proprio ou autre.

À mon avis, compte tenu des frais inhérents entre les deux services offerts, les agences et courtiers ont une côte assez ardue à remonter.

II – Les courtiers sont dorénavant des salariés au sens de la LATMP

Le 18 mai 2018, la juge administratif Santina Di Pasquale rendait une décision dans l’affaire Re/Max du Cartier et CNESST par laquelle elle déclare que «tous les courtiers immobiliers, débutants et réguliers, à l’exception de ceux qui sont dirigeants, employeurs ou qui offrent leurs services par l’entreprise d’une personne morale, sont des travailleurs autonomes considérés comme des travailleurs des agences immobilières de la bannière Re/Max.  Par conséquent, aux fins de la cotisation, les agences doivent inclure dans leur déclaration des salaires de 2015 la rétribution versée à leurs courtiers.»

En d’autres mots, la juge administrative considère que les courtiers immobiliers, débutants et réguliers, tout en étant des travailleurs autonomes, sont considérés comme salariés au sens de la LATMP et soumis à cette dite loi.

Cette affaire a été portée en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure et, à ma connaissance, jugement sur le fond n’a pas encore été rendu.

Par ailleurs, un jugement intérimaire a été rendu compte tenu que Re/Max du Cartier demandait un sursis d’exécution.

Re/Max du Cartier prétendait que le refus d’un sursis le placerait, ainsi que toutes les agences immobilières Re/Max, en situation désavantageuse causant un déséquilibre dans le marché et un préjudice irréparable puisqu’elles seraient les seules à être cotisées pendant l’instance.

L’honorable juge Chantal Massé, tout en reconnaissant qu’une question sérieuse se pose eu égard à la décision initiale, rappelle que Re/Max avait pris engagement envers la CNESST de mettre en place des mesures administratives afin de pouvoir déclarer les revenus des courtiers le cas échéant et avait accepté de procéder par cause type.  Ceci étant, la demande de sursis a été rejetée.  Il y a lieu de se poser la question:  Toutes ces admissions et ententes de procéder par cas type étaient-elles appropriées ou stratégiques?

Quoi que la juge administrative Santina Di Pasquale ait conclu:  «Par conséquent, aux fins de la cotisation, les agences doivent inclure dans leur déclaration des salaires de 2015 la rétribution à verser à leurs courtiers.», il n’en reste pas moins qu’elle statue clairement qu’à son avis, tous les courtiers immobiliers sont des travailleurs autonomes considérés comme des travailleurs des agences immobilières de la bannière Re/Max.

Ceci amène la conclusion que tous les courtiers immobiliers bénéficient des dispositions de la LATMP, ce qui va beaucoup plus loin d’une simple réclamation en cas d’accident de travail et le paiement des primes y reliées.

Les contestations relatives à l’existence ou non d’un événement imprévu et soudain, sur la condition médicale du travailleur, les recours devant le TAT dans un contexte où un employé se plaint d’avoir subit des représailles parce qu’il a fait valoir un droit que la Loi lui reconnaît, sans compter la possibilité réelle que les courtiers immobiliers se fassent reconnaître salariés au sens d’une autre loi telle la Loi sur les normes du travail.

Socialement, il est facile de conclure qu’il s’agit d’un portrait tout à fait raisonnable en donnant aux courtiers immobiliers une protection qu’ils n’ont pas à ce jour.

Par ailleurs, le contribuable est-il prêt à assumer le coût dudit bénéfice parce que, qu’on ne se le cache pas, tout coût supplémentaire va éventuellement se refléter dans le coût des services?

Enfin, il est possible pour les agences de réviser leur modèle d’affaires et de faire affaires avec des courtiers travailleurs autonomes au sens stricte du terme.

À mon avis, il est nécessaire de réviser le modèle d’affaires en profondeur.  Pour se soustraire aux dispositions de la LATMP, il existe une vague actuelle de la part des agences qui favorise de faire affaires avec des courtiers incorporés.

Je me permets une prédiction :  Si ce  modèle d’affaires se multiplie, la CNESST va de nouveau alléguer que ces courtiers incorporés sont des salariés au sens de la LATMP et que ces incorporations sont des écrans de fumée pour éviter l’application de la Loi.

Les chances sont bonnes que cette soumission de la CNESST soit éventuellement retenue par le TAT et ce, nonobstant la disposition de la juge administrative Santina Di Pasquale.

Évidemment, si la Cour Supérieure casse la décision de la juge administrative Santina Di Pasquale, ceci rendrait tout le débat académique.

Par ailleurs, dans un tel cas, il serait surprenant que la CNESST s’en tienne au jugement de la Cour Supérieure.

III – Le peu de commentaires des intervenants

Ce que je soulignais comme surprenant, c’était justement le peu de commentaires qui ont suivi les amendements à la LCI ainsi que la décision du TAT.

Il est certain que les conséquences des amendements à la Loi et de la décision du TAT ne sont pas à favoriser le développement du courtage immobilier dans la province de Québec.

Possiblement que publiciser cette décision et la nouvelle Loi aurait eu des effets contreproductifs ou non productifs.  Je ne suis pas de cet avis.

CJD