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Sylvestre et Distribution Zone Électronique inc. 2017 QCTAT 3655
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL
(Division des relations du travail)
Région : Mauricie–Centre-du-Québec
Dossier : CQ-2016-0809
Dossier employeur: 290295
Québec, le 11 août 2017
DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIF : Line Lanseigne
Paul Sylvestre
Partie demanderesse
c.
Distribution Zone Électronique inc. Partie défenderesse
DÉCISION
[1] Le 6 octobre 2015, Paul Sylvestre (le plaignant) dépose une plainte fondée sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail1 dans laquelle il allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante.
[2] L’employeur, Distribution Zone Électronique inc., prétend qu’il n’a pas congédié le plaignant, mais que celui-ci a plutôt démissionné. Il s’oppose également à la recevabilité de la plainte aux motifs qu’elle n’a pas été produite dans le délai de 45 jours prévu à la Loi et que le plaignant serait un cadre supérieur exclu de l’application de l’article 124.
LES FAITS
[3] L’employeur est un franchiseur qui concède à des marchands le droit d’exploiter la marque Stéréo Plus pour la commercialisation de produits électroniques en conformité avec son concept. Il n’exploite lui-même aucun magasin. Il dirige également un club d’achats permettant aux franchisés ainsi qu’à d’autres commerçants d’obtenir des rabais.
[4] Monsieur Sylvestre commence à travailler dans l’entreprise en 1989 comme analyste en marketing. En 1999, il est promu directeur de la mise en marché et occupe toujours ce poste lors de la fin de son emploi.
[5] Le président fondateur de l’entreprise, monsieur Roy, assisté d’une vice-présidente, madame Paquin, administre l’entreprise jusqu’à son départ en 2013. Ensemble, ils décident des orientations de gestion, des politiques gouvernant les contrats de franchise ainsi que des conditions d’achat qu’obtiennent les marchands en devenant franchisés.
[6] À cette époque, l’entreprise compte aussi trois directeurs. L’un est responsable du développement des franchises, un autre sélectionne et achète les produits électroniques vendus par la bannière, et le plaignant s’occupe du volet publicitaire. En tant que directeur de la mise en marché, il relève de la vice-présidente madame Paquin.
[7] Trois adjointes administratives, un webmestre et un graphiste complètent cette équipe de travail.
[8] Un comité stratégique, composé d’une dizaine de marchands, approuve les recommandations de la direction. Ce comité est aussi responsable de maintenir des liens étroits avec les marchands franchisés. Une fois par année se tient une assemblée générale lors de laquelle les orientations et les stratégies de communication de l’entreprise sont présentées. C’est aussi l’occasion de faire connaître les produits de la bannière, de faire approuver certains projets de développement et d’offrir de la formation aux marchands.
[9] Le plaignant est chargé d’y exposer le volet publicitaire puisqu’il a pour fonction de planifier les campagnes de promotions qui seront offertes par les marchands de la bannière au cours de l’année. Elles se déroulent généralement lors de périodes de fortes activités commerciales, telles que les soldes après Noël.
[10] D’autres promotions sont initiées par la bannière Stéréo Plus : « 0 % d’intérêt », « On paie les deux taxes », etc. Avec l’aide du directeur des achats, le plaignant détermine les produits qui seront en solde lors de chacune des promotions. Cette liste est ensuite approuvée par la direction et le comité stratégique. Certaines promotions
proviennent des manufacturiers d’appareils électroniques qui décident d’offrir des rabais sur certains produits sélectionnés. Le plaignant planifie alors les campagnes publicitaires de ces promotions dans les magasins Stéréo Plus.
[11] Il ne conçoit aucune campagne publicitaire. Ce mandat est confié à une agence publicitaire. Il gère par contre le processus de sélection de l’agence et soumet son choix à la direction pour approbation.
[12] Le plaignant est aussi responsable de tous les aspects logistiques liés à l’organisation des activités promotionnelles. Il conclut des contrats d’imprimerie pour les circulaires et négocie des espaces publicitaires dans différents médias. Il doit par contre composer avec les décisions de la direction, qui interfèrent dans le choix des partenaires. Ce fut notamment le cas pour le choix d’une agence de publicité ainsi que pour un important contrat d’imprimerie.
[13] Monsieur Sylvestre coordonne et supervise les activités de son équipe de travail qui est constituée d’un webmestre, d’un graphiste ainsi que d’une directrice des communications. Son autorité envers ces employés se limite à assurer la qualité de leur travail. Il ne contrôle pas les horaires ni n’autorise les absences.
[14] Concernant le pouvoir d’embaucher, de congédier ou de sanctionner les employés, le plaignant ne dispose d’aucune autonomie. Ainsi, il n’a pas été consulté lors de l’embauche de sa conjointe au poste de directrice des communications, ni lors de sa fin d’emploi en mai 2015.
[15] Une somme de 750 000 $ est consacrée au volet publicitaire, sur un budget d’exploitation qui totalise un peu plus de 1 000 000 $. Monsieur Sylvestre établit avec les autres membres de la direction la répartition de cette somme selon les choix budgétaires, lesquels sont intrinsèquement liés aux stratégies d’affaires. À titre d’exemple, il peut être décidé de consacrer plus d’argent à la publicité sur le web plutôt que d’utiliser les médias traditionnels. Mises à part celles qui concernent son service, aucune information financière relative à l’entreprise n’est dévoilée au plaignant.
[16] Monsieur Sylvestre conclut les contrats dans le domaine publicitaire selon les paramètres en vigueur. Il autorise les factures après en avoir vérifié la conformité, mais ne signe aucun chèque.
[17] Enfin, avec leur accord, monsieur Sylvestre administre le budget publicitaire que les marchands financent eux-mêmes. Il leur propose un plan média qu’il met en œuvre par la suite.
[18] En janvier 2013, le président-fondateur quitte l’entreprise pour des raisons de
santé. Une nouvelle structure organisationnelle est alors mise en place.
[19] Monsieur Roy, le fils de l’ancien président, prend la relève de son père pour administrer les affaires de l’entreprise. Il occupe le poste de directeur des systèmes d’intégration audio-vidéo. Il est responsable de la domotique et de la gestion du magasin Stéréo Plus de Trois-Rivières. La preuve révèle qu’il joue un rôle de premier plan dans l’entreprise. Il prend part à toutes les décisions importantes et est l’unique signataire des chèques.
[20] Madame Paquin devient la vice-présidente des finances et des opérations. Selon l’organigramme de l’employeur, elle supervise les finances et la convention de franchise. Elle est aussi responsable de la négociation auprès des fournisseurs et de la gestion des ressources humaines.
[21] Un deuxième poste de vice-président du marketing et du développement des affaires est aussi créé, dont le principal mandat est de recruter de « nouveaux prospects » et d’élaborer des stratégies commerciales globales. D’abord promis au plaignant, ce poste sera plutôt occupé par un nouvel employé, monsieur Lefebvre.
[22] Trois directeurs se partagent la direction des opérations, du développement des affaires et de la mise en marché. Cette dernière direction demeure sous la responsabilité de monsieur Sylvestre. Bien qu’il dispose d’un peu plus d’autonomie, il conserve néanmoins les mêmes fonctions et responsabilités.
[23] Dans la hiérarchie, il relève dorénavant de monsieur Lefebvre, le nouveau vice-président du marketing et du développement des affaires. Ce dernier est un ancien employé de l’entreprise, maintenant embauché dans le but de renforcer le positionnement de la bannière Stéréo Plus en tant que référence dans le domaine de l’électronique. La concurrence est féroce et l’entreprise doit déployer des efforts pour se démarquer. Il est prévu de mettre en place des solutions publicitaires innovatrices et de revoir l’image. La mise en marché traditionnelle ne donne plus les résultats attendus.
[24] L’entreprise fait appel à une firme publicitaire renommée pour réaliser ces changements qui visent à rajeunir la clientèle. Entre autres, le logo sera redéfini et la domotique deviendra le champ de spécialisation de la bannière.
[25] Monsieur Sylvestre participe à ce virage. Il précise cependant qu’il n’en est pas le maître d’œuvre et que c’est plutôt monsieur Lefebvre qui en est responsable. Il a eu très peu de poids dans le choix de l’agence publicitaire et a agi comme simple participant aux divers comités de réflexion concernant le repositionnement de l’entreprise. Pour appuyer ses propos, il rapporte que l’orientation qu’il préconisait concernant une campagne promotionnelle a été écartée par messieurs Roy et Lefebvre.
madame Paquin, qui a quitté l’entreprise. Il contredit l’affirmation du plaignant qui dit relever de monsieur Lefebvre. Cette hiérarchie est impossible considérant que, malgré son titre de vice-président, monsieur Lefebvre a un statut de consultant. Le plaignant a toute la latitude nécessaire pour exercer sa fonction.
[27] L’organigramme de l’employeur démontre pourtant que le plaignant est subordonné à monsieur Lefebvre, ce qui apparaît d’ailleurs plus conforme à la réalité. Par exemple, monsieur Sylvestre rapporte que, pour fidéliser un marchand insatisfait, il lui a conçu un calendrier publicitaire particulier. Considérant qu’un tel accommodement devait être prohibé, monsieur Lefebvre l’a annulé sans autre motif.
[28] Comme autres éléments, le partage des responsabilités entre le plaignant et monsieur Lefebvre révèle que ce dernier est davantage impliqué dans la planification stratégique et les orientations de l’entreprise. C’est aussi lui qui, dans le cadre de la collaboration avec l’agence publicitaire pour le repositionnement de l’image de marque, est responsable de la stratégie de marketing, alors que monsieur Sylvestre est plutôt chargé d’assurer la diffusion des offensives publicitaires et promotionnelles retenues.
[29] Les procès-verbaux des assemblées et les présentations faites par le plaignant à ces occasions ne démontrent pas, contrairement à ce que prétend l’employeur, qu’il est au cœur de l’élaboration des nouvelles stratégies que veut mettre en place l’entreprise. Ainsi, la formation qu’il a donnée concernant les différentes plateformes médiatiques ainsi que sur la domotique vise à mieux outiller les marchands et à les sensibiliser aux nouvelles réalités dans le domaine des communications et de la mise en marché.
[30] Selon le directeur des finances, le plaignant occupe une position hiérarchique importante dans l’entreprise. Il gère trois employés et compte parmi les plus hauts salariés de l’entreprise. Il souligne que la rémunération de 90 000 $ qu’il reçoit est identique à la sienne.
[31] Monsieur Sylvestre rétorque que c’est à l’arraché qu’il a pu obtenir cette rémunération après plus 25 années de service. Son collègue a pour sa part bénéficié des mêmes conditions de travail, et ce, dès son embauche.
[32] Ainsi, malgré l’engagement de l’employeur de faire passer son salaire de 60 00 $ à 90 000 $ selon un échéancier précis d’augmentations salariales qui s’échelonnent de 2004 à 2006, sa rémunération demeure à 80 000 $. Ce n’est qu’en 2014 qu’il obtient enfin les 10 000 $ de plus promis mais, contrairement à celui des autres employés, son nouveau salaire ne sera pas indexé en fonction de l’indice du coût de la vie. Monsieur Sylvestre ajoute qu’il ne bénéficie d’aucuns avantages sociaux et qu’il ne reçoit aucune prime de rendement. Il a droit à une semaine de vacances par année de plus que le nombre prévu à la Loi sur les normes du travail.
[33] Concernant la gestion du personnel, le directeur des finances fait valoir que le plaignant a dû gérer un conflit interpersonnel dans son équipe. Il reconnaît cependant qu’il est responsable des horaires de travail et de l’attribution des vacances à titre de directeur des finances. Au moment de sa fin d’emploi, le plaignant ne supervise plus qu’un seul employé.
LA FIN D’EMPLOI
[34] Le 2 juillet 2015, le plaignant informe messieurs Roy et Lefebvre de son intention de mettre fin à son contrat de travail au cours de la prochaine année, soit le 3 juin 2016. Au terme de ce préavis de onze mois, il souhaite recevoir une indemnité de fin d’emploi basée sur ses années de service.
[35] Sans annoncer une retraite, il indique avoir fait « le tour du jardin » et que, par ailleurs, il se sentait moins utile pour l’entreprise qu’auparavant. Cette annonce est reçue avec stupéfaction. Le vice-président Lefebvre s’oppose au versement de l’indemnité demandée.
[36] Il est convenu de reporter la discussion sur ce sujet lors d’une rencontre qui sera fixée après la période de vacances estivales. Entre-temps, il est demandé au plaignant d’indiquer par écrit la date exacte de son départ ainsi que le plan de relève qu’il propose pour assurer la transition. Il doit également fournir des précisions sur la somme réclamée, et détailler les raisons motivant son départ.
[37] La rencontre annoncée a lieu le 14 août 2015. Le plaignant n’a toujours pas fourni les informations demandées. Le directeur Roy et le directeur des finances sont présents. Ils l’avisent que sa fin d’emploi sera devancée au 23 septembre prochain plutôt qu’à la date de départ annoncée, soit le 3 juin 2016. L’intégration de son successeur ne commande pas une période aussi longue; six semaines sont jugées amplement suffisantes pour optimiser le transfert d’expertise.
[38] Les conditions entourant la fin d’emploi du plaignant sont établies dans un document qui lui est remis lors de la rencontre. On peut y lire ce qui suit :
(…)
Au mois de juillet dernier, vous nous avez informé, avec stupéfaction, de votre décision de quitter vos fonctions chez Distribution Zone Électronique inc., à titre de directeur de la mise en marché alléguant plusieurs raisons dont celles « d’avoir fait le tour du jardin », laquelle démission a dûment été acceptée par l’employeur lors de notre rencontre du 2 juillet dernier.
S’ajoute à votre décision de quitter vos fonctions, une demande monétaire basée sur vos années de service.
Bien que la période de transition pour intégrer votre successeur ne commande pas une aussi longue période que celle que vous avez envisagée et que notre capacité financière ne nous permet pas de rencontrer vos attentes monétaires, nous sommes disposés à vous octroyer une période de transition avant votre fin d’emploi de six (6) semaines.
Votre fin d’emploi sera effective à compter du mercredi 23 septembre 2015. D’ici la date de la fin de votre emploi, vous recevrez votre salaire habituel. (…)
(reproduit tel quel)
[39] De façon hebdomadaire, l’employeur indiquera au plaignant ses instructions pour effectuer la transition avec son successeur. Une prime de rendement lui sera offerte aux conditions précisées dans le document annonçant sa fin d’emploi :
Si vous continuez de fournir votre prestation de travail selon les attentes de l’employeur jusqu’à la date de la cessation de votre emploi, soit jusqu’au 23 septembre 2015 et que vous signez la convention de fin d’emploi, vous recevrez, en plus de votre salaire habituel, un boni au montant brut de 5 000,00 $.
[40] Le plaignant refuse de signer cette convention de fin d’emploi. Il maintient que sa démission est prévue en juin 2016. Il s’estime donc congédié.
[41] Le lendemain 17 août, il envoie une lettre au directeur Roy dans laquelle il explique les raisons ayant mené à l’annonce de sa démission. Il y fait notamment état du non-respect des augmentations salariales qui lui avaient été promises, et de certaines décisions prises à son insu. Le plaignant termine sa correspondance en rappelant les conditions de sa démission et la date de sa prise d’effet.
[42] La période de transition prévue avant le départ du plaignant se déroule sans difficulté. Il offre une excellente collaboration et se conforme aux directives de l’employeur. Ce dernier lui transmet chaque semaine ses attentes, par courriel, et lui indique le plan de travail décidé par le vice-président marketing et développement.
[43] Finalement, le transfert des connaissances est moins long que prévu, et le successeur du plaignant a acquis l’autonomie nécessaire pour assumer ses nouvelles tâches, et ce, avant la fin de la période envisagée. Il est décidé que le 10 septembre 2015 sera la dernière journée de présence obligatoire au travail du plaignant. Il recevra néanmoins son salaire jusqu’au 23 septembre.
[44] Une lettre de recommandation lui sera également remise. Quant à l’offre d’indemnité de fin d’emploi, elle demeure toujours valide si le plaignant consent à signer la convention de fin d’emploi. Celui-ci déposera plutôt, le 6 octobre 2015, une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[45] L’employeur soulève le dépôt tardif de la plainte et l’inadmissibilité de celle-ci,
puisqu’il est d’avis que le plaignant est un cadre supérieur et qu’il n’y a pas eu de congédiement. Il y a d’abord lieu d’analyser si la plainte a été soumise dans le délai prescrit par la Loi sur les normes du travail.
[46] L’article 124 de cette loi prévoit qu’un salarié qui croit avoir été congédié sans cause juste et suffisante doit déposer sa plainte dans les 45 jours de son congédiement.
[47] L’employeur argue que le point de départ pour le calcul de ce délai est le 14 août 2015, date où il confirme au plaignant qu’il accepte sa démission annoncée le 2 juillet, et qu’il lui accorde un délai-congé qui arrivera à échéance le 23 septembre 2015. Monsieur Sylvestre avait donc jusqu’au 30 septembre pour se plaindre. Il l’a fait le 6 octobre; son recours est donc prescrit.
[48] Le point de départ du calcul du délai dont dispose le salarié pour déposer sa plainte est la date à laquelle sa terminaison d’emploi prend effet et non la date à laquelle il est informé de sa fin d’emploi. Ce moment constitue toutefois la date ultime pour agir. Ainsi, une plainte ne sera pas prématurée si le plaignant la dépose dans les 45 jours de l’annonce de sa fin d’emploi.
[49] Ce principe, établi depuis longtemps, a fait l’objet de nombreuses décisions des tribunaux. Ainsi, dès 1985, la Cour supérieure, dans l’affaire K.H.D. Canada inc. c. Hamelin2, laquelle comporte des similitudes avec la présente affaire, faisait état de l’existence d’une jurisprudence majoritaire voulant que « c’est à la date effective et réelle de rupture du lien d’emploi qu’un congédiement ou une mise à pied doit s’apprécier ».
[50] La doctrine confirme cette position jurisprudentielle. L’auteur Nathalie-Anne BÉLIVEAU, avec la collaboration de Marc OUELLET, dans Les normes du travail, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, à la page 502-503, la résume ainsi:
Les délais de 45 jours prévus aux articles 123 et 124, de même que le délai de 90 jours prévu à l’article 123.1 de la Loi, commencent à courir à compter du moment où la mesure dont le salarié a fait l’objet est effective. Le point de départ du calcul du délai dont dispose le salarié congédié pour déposer sa plainte en
vertu de l’une ou l’autre des dispositions précitées devrait donc en principe être la date à laquelle la terminaison de son emploi prend effet plutôt que la date à laquelle il est informé de son congédiement.
(référence omise)
[51] Récemment, après avoir effectué une analyse approfondie de la jurisprudence dans l’affaire Robert Martinez c. Sécurité des Deux-Rives ltée3, la Commission des relations du travail, à laquelle a succédé le Tribunal, confirmait que cette position demeure inchangée et est toujours appliquée par les tribunaux. Elle précise que ce n’est que dans de rares cas que le délai de prescription commencera à courir au moment où le salarié sera informé de la décision prise par l’employeur de mettre fin à son emploi. Il s’agit généralement de situations lors desquelles le salarié ne dispose pas suffisamment d’indications quant à la terminaison de son emploi.
[52] Ainsi, contrairement à ce qu’affirme l’employeur, la « connaissance » du salarié de sa fin d’emploi, ne constitue pas la règle ni l’état de la jurisprudence pour établir le point de départ du calcul du délai de prescription. Les décisions Lavergne c. Les Industries Fermco ltée4, St-Amand c. Centre de santé et de services sociaux de Gatineau5 et Rissaki et Lithographe Excel 2000 inc.6, citées par l’employeur à l’appui de sa prétention, illustrent toutes des cas d’exception qui ne s’apparentent pas à la présente affaire.
[53] Le Tribunal partage entièrement la conclusion de la Commission des relations du travail exposée dans la décision Robert Martinez c. Sécurité des Deux-Rives, précitée, à propos de la computation du délai de prescription lorsqu’une plainte est logée en vertu de la Loi sur les normes du travail :
[26] La LNT est une loi d’ordre public qui accorde des droits aux salariés et leur fournit des recours contre les pratiques interdites ou les congédiements sans cause juste et suffisante. Il faut donc l’interpréter de manière à pouvoir lui donner tous ses effets afin de ne pas priver un salarié d’un recours. C’est la raison pour laquelle on jugera recevable une plainte déposée dans les 45 jours de l’annonce de la mesure ou, au plus tard, de l’entrée en vigueur de cette mesure.
[54] La présence au travail de monsieur Sylvestre n’était plus requise à compter du 10 septembre 2015. Sa plainte déposée le 6 octobre suivant est donc recevable.
3 2014 QCCRT 0708.
4 2008 QCCRT 528.
5 2008 QCCRT 107.
6 2014 QCCRT 113.
LE STATUT DU PLAIGNANT
[55] Le paragraphe 6 de l’article 3 de la Loi sur les normes du travail exclut le cadre supérieur de la protection prévue à l’article 124. Puisque la Loi ne définit pas cette notion, il faut s’en remettre aux critères d’identification élaborés par la jurisprudence et favoriser une interprétation restrictive, puisqu’il s’agit d’une exception à l’application d’une loi générale, d’ordre public, qui prévoit des conditions minimales de travail.
[56] La Cour d’appel, dans Commission des normes du travail c. Beaulieu7, pose les balises d’interprétation de cette notion :
[21] Divers critères ont été élaborés par la jurisprudence pour déterminer si
une personne est ou non un cadre supérieur, mais il semble que les plus importants sont sa participation à l’élaboration des orientations politiques de l’entreprise et son pouvoir décisionnel. Les auteurs Georges Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon et Magali Cournoyer-Proulx résument ces critères dans leur ouvrage Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e édition, feuilles mobiles, Cowansville (Qc), Éd. Yvon Blais, 1991, vol. 1, paragr. 16.1.16 :
D’ailleurs, depuis la décision Les conseillers en placement Pemp Inc. c. Forget, [C.S., Montréal, n0 500-05-004830-939, le 7 septembre 1994 (J.E. 94-1497)], plusieurs décisions ont été rendues sur la question. Tout en rappelant que l’expression « cadre supérieur » doit être interprétée restrictivement, ces décisions tiennent compte en particulier de certains éléments de faits dans leur évaluation du statut de l’employé :
1) la position hiérarchique de l’employé est pertinente : il doit faire partie de la haute direction. À cet égard, il peut exister différents niveaux hiérarchiques de cadres : cadre de premier niveau, cadre intermédiaire et cadre supérieur ;
2) il faut examiner la gestion du personnel (cadre ou non) de l’employé dont le statut est contesté. […] L’importance de son rôle, de sa discrétion, de sa liberté d’action (sans dépendance), et des pouvoirs qui lui permettent notamment de lier l’entreprise envers des tiers, sont autant de facteurs traditionnels qui deviennent alors déterminants dans de telles circonstances ;
3) les relations de l’employé avec le propriétaire : le cadre supérieur qui fait partie de la haute direction relève, en règle générale, directement du président de l’entreprise ou de ses propriétaires (tel le conseil d’administration) ;
4) les conditions de travail du salarié ainsi que son arrivée et sa progression dans l’entreprise;
5) la participation de l’employé à la gestion : le cadre supérieur doit participer à l’élaboration des décisions politiques de l’entreprise, à savoir les stratégies et les politiques de cette dernière, ainsi qu’à la détermination des moyens pour assurer la rentabilité ou la croissance de l’entreprise;
6) il doit jouir d’une grande autonomie, d’une importante discrétion et d’un pouvoir décisionnel important, et non être un simple exécutant des décisions et des priorités de l’employeur.
Il importe toutefois de préciser que chaque cas en est un d’espèce et que plusieurs des critères ou indices énoncés ci-dessus seront fort utiles ou carrément sans utilité selon la grosseur de l’entreprise, son caractère lucratif ou non, la structure du personnel qui la compose et les secteurs d’activités dans lesquels elle agit.
En définitive, il nous semble que les cinquième et sixième critères ci-dessus résumés doivent être privilégiés dans un premier temps, car, à moins de rares exceptions, ils constituent toujours des indices-clés permettant de qualifier un employé de « cadre supérieur », tout autre indice n’ayant souvent qu’un rôle secondaire. [Je souligne.]
(…)
[24] À mon avis, le cadre supérieur est celui qui participe à l’élaboration des politiques de gestion et à la planification stratégique de l’entreprise. Il doit avoir un grand pouvoir décisionnel et non simplement coordonner les activités de l’entreprise ou appliquer les politiques de gestion élaborées par la haute direction. Les fonctions d’un cadre supérieur ne seront évidemment pas les mêmes dans une société d’assurance opérant à la grandeur du Canada et dans une petite ou moyenne entreprise, à caractère local, telle une boulangerie. C’est pourquoi il est aussi nécessaire d’examiner le contexte particulier de l’entreprise pour déterminer si une personne est ou non un cadre supérieur. Voyons maintenant ce qu’il en est en l’espèce.
[57] La Commission des relations du travail précise, dans Larocque c. La corporation. EMC du Canada8 :
[40] Même si plusieurs critères sont mis de l’avant dans la détermination du niveau d’emploi, un seul apparaît déterminant, la participation à l’élaboration ou à la définition des orientations et des politiques générales de l’entreprise.
[41] En effet, le contrôle, la planification et la gestion des opérations quotidiennes ou courantes appellent un niveau d’emploi inférieur à celui de cadre supérieur. Le pouvoir d’un cadre supérieur s’exerce par ou sur des décisions de niveau supérieur qui concernent la planification stratégique, les orientations de
l’entreprise et ses politiques. Évidemment, selon la taille de l’entreprise, ce pouvoir pourra s’exercer sur une ou plusieurs fonctions essentielles à l’entreprise.
[42] En d’autres termes, il faut regarder les pouvoirs et les fonctions du plaignant et déterminer si son pouvoir est restreint aux opérations, ou s’il s’étend à l’élaboration des orientations et des politiques. (…)
[58] En somme, le niveau hiérarchique de l’employé doit correspondre à un pouvoir décisionnel véritable, sans quoi son autorité sera celle d’un cadre intermédiaire.
[59] À propos de cette distinction, la Commission des relations du travail, dans l’affaire Chabot c. Plomberie Albert Paradis inc.9, mentionne :
Le niveau décisionnel du cadre supérieur se situe donc à celui de l’élaboration de décisions politiques d’entreprise, ainsi que de la prise de décision de programmes, de planification stratégique et de choix de mesures correctives d’ensemble à appliquer en fonction des résultats recherchés.
Le niveau décisionnel du cadre intermédiaire et subalterne est plutôt de type interprétatif : détermination d’objectifs particuliers, de procédures et de méthodes de travail, en fonction des paramètres ressortissant de décisions de plus haut niveau.
[60] Enfin, la nature des fonctions exercées par l’employé doit s’apprécier au moment du congédiement et tenir compte du contexte particulier de l’entreprise. Ainsi, la qualification de cadre supérieur dépendra non seulement de la structure organisationnelle de l’entreprise, mais aussi du style de gestion qui y est exercée. La Cour d’appel réitère, en ces termes, ce principe dans l’arrêt récent Delgadillo c. Blinds To Go inc.10 :
[21] En effet, la CRT a commis ici deux erreurs qui sont fatales à son raisonnement et, partant, à sa conclusion.
[22] D’une part, elle a procédé à une analyse du statut de l’appelant en faisant totalement abstraction de la nature de l’entreprise et, plus particulièrement, de sa singularité qui se caractérise par une fabrication de produits sur mesure dans un court laps de temps. L’intimée, qui emploie un millier de personnes, possède ainsi deux usines de fabrication (l’une au Québec, l’autre aux États-Unis) et des centaines de magasins au détail : le client passe sa commande dans l’un de ces magasins et le produit commandé est fabriqué aussitôt dans l’une ou l’autre des usines pour être remis au client dans les 48 heures. Dans cette optique, toutes les conditions afférentes aux opérations de l’usine de fabrication font de celle-ci un centre névralgique de l’entreprise.
(caractères gras ajoutés)
[61] En l’espèce, l’employeur compte une douzaine d’employés dont la majorité porte le titre soit de directeur, de directrice ou de vice-président. Selon l’organigramme, au plus cinq employés n’auraient pas de titre associé à des fonctions d’encadrement.
[62] La position hiérarchique qu’occupe le plaignant doit donc être située dans ce contexte particulier de gestion. Certes, il occupe un poste important et œuvre dans un secteur névralgique de l’entreprise. Il administre un budget publicitaire imposant, signe des contrats et bénéficie de conditions de travail avantageuses. Toutefois, ces responsabilités n’en font pas nécessairement un cadre supérieur.
[63] En effet, la preuve révèle qu’il ne détient pas un pouvoir déterminant. Ses décisions sont balisées, encadrées et exercées sous la supervision du vice-président marketing et développement des affaires, monsieur Lefebvre. C’est d’ailleurs ce dernier qui est chargé d’élaborer les grandes orientations commerciales de l’entreprise. On se souviendra que l’embauche de ce vice-président découle du besoin de l’entreprise de revoir son plan d’affaires et son image de marque. Or, ce mandat n’a pas été confié au plaignant pourtant directeur de la mise en marché.
[64] Il ressort de la preuve que son rôle au sein de l’entreprise consiste principalement à planifier et à coordonner les promotions publicitaires. Bien qu’il jouisse d’une certaine autonomie et qu’il joue un rôle actif dans la gestion des activités, rien ne démontre qu’il dispose d’un pouvoir d’influence déterminant concernant les orientations de mise en marché de l’entreprise ou sa stratégie de communication. Au contraire, les procès-verbaux des assemblées des commerçants démontrent plutôt que ce sont messieurs Roy et Lefebvre qui dirigent les affaires de l’entreprise et qui présentent les sujets importants. Le fait que monsieur Sylvestre participe à ces assemblées ainsi qu’à diverses réunions de consultation ne suffit pas pour qu’il soit qualifié de cadre supérieur.
[65] D’ailleurs, les responsabilités dévolues au plaignant dans le cadre des travaux menés avec l’agence publicitaire pour le repositionnement de l’image de marque de l’entreprise révèlent que son rôle n’est pas prépondérant et qu’il n’est certes pas la tête dirigeante invoquée par l’employeur.
[66] Il revient à ce dernier de s’acquitter du fardeau de démontrer que le plaignant est exclu de l’application de la loi. Or, le seul témoignage du directeur des finances qui, de surcroît, est en poste seulement depuis neuf mois au moment du départ du plaignant, ne convainc pas le Tribunal d’appliquer l’exception prévue à une loi d’ordre public visant à protéger les salariés.
[67] En effet, la preuve ne révèle pas que le plaignant est investi d’un pouvoir discrétionnaire ou d’une autonomie suffisante sur les affaires de l’entreprise. Les procès-verbaux des réunions auxquelles il a participé ainsi que les contrats qu’il a signés ne constituent pas à eux seuls la démonstration d’une liberté d’action. Il en va de même des présentations faites aux marchands lors des assemblées annuelles.
[68] Le plaignant affirme plutôt que les décisions qui sortent du cadre établi ou qui ont un impact financier important doivent être approuvées par la haute direction et respecter les règles de l’entreprise. Aucun élément probant et concret ne contredit cette affirmation.
[69] Même si le plaignant coordonne le travail de trois employés, l’employeur conserve le pouvoir d’embauche et de recrutement, ainsi que les décisions relatives à l’application des conditions de travail. Ainsi, le plaignant n’a pas décidé de l’embauche ni du congédiement de sa conjointe. Mis à part le fait qu’il a participé au règlement d’un conflit entre deux employés, il n’y a aucune preuve qu’il exerce un quelconque contrôle sur la gestion des ressources humaines.
[70] Quant à son salaire et ses conditions de travail, ils ne constituent pas un indice suffisant pour lui conférer un statut de cadre supérieur au sens de la Loi sur les normes du travail.
[71] Enfin, la décision Delgadillo c. Blinds To Go inc.11, invoquée par l’employeur, présente une situation factuelle très différente du dossier à l’étude. Ici, l’employeur n’a pas l’ampleur de l’entreprise Blinds To Go, et le plaignant, au regard de la preuve présentée, ne peut certes être qualifié de personne-clé ou de pivot de l’entreprise, comme c’était le cas dans cette affaire.
LA FIN D’EMPLOI
[72] Reste à déterminer si le plaignant a effectivement été congédié. En effet, il ne peut se prévaloir du recours prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail s’il démissionne librement et volontairement.
[73] Les faits en l’espèce sont simples et non contredits. Le 2 juillet 2015, le plaignant annonce sa démission pour l’année suivante, soit le 3 juin 2016, comme il aurait pu le faire pour signifier sa retraite. Le 14 août 2015, l’employeur accepte sa démission, mais décide cependant de mettre fin à son emploi le 23 septembre 2015 plutôt qu’à la date de départ annoncée.
[74] L’employeur plaide qu’il n’est pas tenu d’accepter un préavis de fin d’emploi aussi long, déterminé unilatéralement par le plaignant. Par conséquent, la décision d’en écourter la durée n’invalide pas la démission annoncée de façon libre et volontaire et n’est aucunement assimilable à un congédiement.
[75] La Cour suprême, dans l’affaire Commission des normes du travail c. Asphalte Desjardins inc.12, tranche la question relative au droit de l’employeur de mettre fin à l’emploi avant la date de départ annoncée par un salarié :
[38] Il est acquis qu’il n’y a pas résiliation automatique du contrat de travail dès réception d’un délai congé et qu’au contraire, la relation contractuelle continue jusqu’à la date prévue par le délai de congé donné par le salarié ou l’employeur. En conséquence, même après que l’une des parties au contrat de travail à durée indéterminée a donné un délai de congé à son cocontractant, chaque partie demeure tenue de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du contrat de travail jusqu’à l’expiration de ce délai. Cela comprend l’obligation de donner un délai de congé en vertu de l’art. 2091 C.c.Q. qui s’impose à celui qui souhaite à son tour mettre fin au contrat avant l’expiration du délai de congé donné par l’autre. Il y a donc lieu de rejeter la prétention suivant laquelle, en remettant un délai de congé, la situation juridique des parties se « cristalliserait » ce délai ne faisant que retarder la fin de l’emploi en reportant la date du départ du salarié. Le délai de congé ne met pas fin sur-le-champ au contrat de travail pour n’en préserver que les conditions de travail pendant l’écoulement du délai. C’est le contrat de travail lui-même, dans son entièreté, qui continue d’exister jusqu’à l’expiration du délai congé.
(caractères gras ajoutés)
[76] Sont donc maintenus durant la période de délai-congé tous les droits et obligations de l’employeur et du salarié prévues au Code civil du Québec13 (Code civil) ainsi qu’aux lois du travail. Ainsi, l’employeur qui écourte la période de travail annoncée par le salarié avant la date prévue rompt unilatéralement le contrat de travail et est, par conséquent, sujet à l’application des dispositions de la Loi sur les normes du travail en matière de protection de l’emploi.
[77] C’est d’ailleurs ce qui ressort des paragraphes 40 et 41 de l’arrêt de la Cour
suprême précédemment cité :
[40] L’employeur qui précipite la fin du contrat après qu’un salarié lui a donné un délai de congé n’effectue pas une « renonciation » mais bien une résiliation unilatérale du contrat de travail, ce qui n’est autorisé que suivant les modalités prévues par la loi (art. 1439 et 2091 C.c.Q ). En « renonçant » au
12 [2014] 2 R.C.S. 514.
13 RLRQ, c. C-1991.
délai congé qu’un salarié lui donne, l’employeur empêche le salarié de fournir sa prestation de travail et cesse de le rémunérer, manquant ainsi aux obligations contractuelles auxquelles il est tenu jusqu’à l’expiration du délai de congé. En l’espèce, comme l’exprime avec justesse le juge Pelletier, au par. 36 de ses motifs, « [j]usqu’à ce que cette date arrive, seule une entente, et non un geste unilatéral, [peut] libérer les parties de leurs obligations ».
[41] En somme, un employeur qui reçoit d’un salarié le délai de congé prévu à l’article 2091 C.c.Q. ne peut mettre fin unilatéralement au contrat de travail à durée indéterminée sans donner à son tour un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu. Le délai de congé donné par le salarié n’a pas pour effet de libérer immédiatement les parties de leurs obligations respectives découlant du contrat de travail. Si l’employeur refuse de laisser le salarié fournir sa prestation de travail et de le rémunérer pendant le délai de congé, il se trouve à « mettre fin au contrat » au sens de l’art. 82 de la Loi sur les normes du travail.
(caractères gras ajoutés)
[78] Il est bien établi que les dispositions de la Loi sur les normes du travail visent à assurer au salarié une protection minimale à laquelle ne peuvent déroger les parties dans un contrat de travail. Ainsi, l’article 124 impose une norme du travail interdisant la cessation d’emploi d’un salarié en l’absence de cause juste et suffisante. Cette norme limite le pouvoir discrétionnaire qu’accorde le Code civil à l’employeur lui permettant de mettre fin au contrat de travail à durée indéterminée sous réserve d’un avis suffisant, et lui impose, le cas échéant, de reprendre à son emploi le salarié.
[79] Concernant les effets de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail sur l’encadrement juridique des rapports découlant de la relation individuelle de travail, la Cour d’appel, dans l’affaire Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli14, mentionne ce qui suit :
Elle encadre les rapports entre le salarié et son employeur, au même titre que l’obligation de payer le salaire minimum légal ou d’accorder des indemnités de vacances. En imposant à l’employeur l’obligation de ne congédier que pour cause, après une période d’emploi déterminée, le législateur a institué une règle de droit nouvelle, applicable au travail salarié, comme lorsqu’il a édicté un salaire minimum obligatoire. Dans l’un et l’autre cas, il restreint la liberté contractuelle traditionnelle par l’imposition d’une règle légale prééminente.
[80] L’employeur a choisi de devancer la fin d’emploi du plaignant avant la date de départ annoncée. Il y a donc rupture unilatérale du contrat de travail. Selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, cette fin d’emploi prématurée ne peut être sans cause juste et suffisante puisque le plaignant compte plus de deux années de service.
Cette cause juste est suffisante doit être un motif sérieux lié au comportement fautif d’un salarié ou à son incapacité à remplir ses fonctions. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
[81] Hormis l’argument voulant qu’il ne soit pas tenu d’accepter le préavis de fin d’emploi déterminé unilatéralement par le plaignant, l’employeur n’invoque aucun motif justifiant la rupture du lien d’emploi. Au contraire, il souligne, dans un courriel du 14 septembre 2015, la conduite irréprochable de monsieur Sylvestre. Celui-ci a fait preuve d’une grande loyauté envers l’employeur et a collaboré activement au plan de transition mis en place pour assurer sa succession avant son départ.
[82] Il est vrai cependant que, dans l’arrêt Asphalte Desjardins15, la Cour suprême affirme que l’on ne peut « imposer » à l’employeur le délai-congé décidé unilatéralement par le salarié. Mais elle ajoute, il importe de le préciser, que:
[44] (…) Un employeur peut refuser qu’un salarié se présente sur les lieux de travail pour la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans la mesure où le délai de congé fourni par le salarié est raisonnable. L’employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à l’art. 2091 C.c.Q. et en vertu des art. 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail.
[83] Ce choix qu’a l’employeur de mettre fin au contrat de travail en accordant un délai-congé raisonnable ou une indemnité correspondante ne le soustrait pas de son obligation de ne pas congédier le salarié sans une cause juste et suffisante, selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.
[84] L’appréciation du caractère raisonnable du délai-congé qu’impose l’article 2091 C.c.Q., tout comme l’application des articles 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail, relève des tribunaux de droit commun. En l’instance, la compétence du Tribunal consiste plutôt à contrôler la justesse et la suffisance du motif de la fin d’emploi. Ainsi, il n’a pas à décider si la durée du délai-congé donné par le plaignant était déraisonnable dans les circonstances. Il n’a pas non plus à apprécier si la durée du délai-congé offert par l’employeur en réponse à celui du salarié est raisonnable.
[85] En refusant au plaignant de fournir sa prestation de travail ou de le rémunérer durant la période du délai-congé annoncé, l’employeur a mis fin au contrat de travail sans cause juste et suffisante. Cette rupture du lien d’emploi est contraire aux dispositions de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail et est donc illégale.
[86] Puisque monsieur Sylvestre a été congédié sans cause, qu’il n’est pas un cadre supérieur et qu’il a déposé sa plainte dans le délai, il bénéficie de la protection d’emploi que lui confère la Loi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la plainte;
ANNULE le congédiement imposé le 23 septembre 2015;
DÉCLARE que Paul Sylvestre devait être maintenu dans son emploi avec
tous ses droits et privilèges, jusqu’à la date de la démission annoncée, soit le 3 juin 2016;
ORDONNE à Distribution Zone Électronique inc. de verser à
Paul Sylvestre à titre d’indemnité, dans les quinze (15) jours de la notification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé le congédiement, le tout portant intérêt à compter du dépôt de la plainte conformément à l’article 100.12 du Code du travail;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le quantum de l’indemnité et
pour régler toute difficulté résultant des présentes ordonnances.
Line Lanseigne
Me Jennefer Legault PAQUET TELLIER
Pour la partie demanderesse
Me Kathleen Rouillard
BÉLANGER, SAUVÉ SENCRL Pour la partie défenderesse
Date de la mise en délibéré: 19 mai 2017